Barthes aurait eu cent ans.
Cette biographie signée par Tiphaine Samoyault est plus une présentation d'un Barthes sémiologue, critique et structuraliste qu'une réelle découverte de l'homme.
En effet, nulle anecdote réelle qui appuie ce long essai, fort bien écrit au demeurant, point de confidences, d'histoires croustillantes que l'on aurait pu attendre, mais un portrait ciselé de Barthes qui lance, en quelque sorte, les commémorations qui auront lieu pour son centenaire. Oui, cela peut paraître incroyable, mais il aurait eu cent ans le 12 novembre s'il n'était pas mort le 26 mars 1980, renversé par une camionnette, sortant tout juste d'un déjeuner avec François Mitterrand.
Barthes dans son livre incontournable « Roland Barthes » par Roland Barthes, paru en 1975 nous en disait plus sur lui-même que ne le fait cette biographie. Mais, Tiphaine Samoyault nous parle de Barthes dans le texte, à rebours, en nous faisant, une espèce de jeu de piste linguistique.
Il n'en reste, pas moins, qu'elle est confrontée comme tout biographe à nous parler de la jeunesse de Barthes, orphelin de père dont le chalutier a coulé en 1917 par les Allemands et qui fut, ainsi, enfant : pupille de la nation. Mort qui va influer toute la vie de Barthes qui vivra avec sa mère, rue Servandoni, pour accéder à son bureau il soulevait une trappe.
Cette trappe a fait la joie des analystes comme on peut s'en douter surtout quand on sait que la mère est morte en 1977, année de son élection au collège de France et surtout année emblématique puisque sort son « Fragment d'un discours amoureux » grand succès qui lui donnera une autre dimension médiatique même année où il entame une correspondance avec Hervé Guibert. Barthes ne se remettra jamais de la mort de sa mère, à ce sujet un très beau texte interdit longtemps par François Whal, mais autorisé par le propre frère de Roland Barthes paraîtra de manière posthume en 2009, sous le titre Journal de deuil qui parle de sa mère.
aly, CC BY 2.0
Mère a laquelle il n'avouera jamais son homosexualité, secret qui bruisse dans Paris et fait penser à Gide dont la femme n'a jamais rien su de cette part intime de son époux, et nous amène à faire des couples mentaux : Barthes et Gides, Barthes et Foucault. Il vouait un réel culte du secret et dans son journal daté de 1980 il dévoile « L'écriture est la part de moi qui est soustraite à la mère », l'écriture tout comme l'homosexualité.
Dès sa sortie du sanatorium, il publie ses premiers textes dans Combat en 1947. Ses critiques sont tout de suite remarquées tant elles tranchent avec les autres, il démontre que la critique est en soi une écriture, et permet au lecteur de comprendre. Ce sont ses Mythologies qui vont permettre à tous de le découvrir. Un intellectuel qui explique, invente le terme « langage-objet », oui le mythe est une langue et il écrit aussi bien sur la DS que sur le steak frites bousculant le paysage de la critique.
« Chez le coiffeur, je vois en première page de Paris Match la photographie d'un soldat noir vêtu d'un uniforme français faisant le salut militaire sous le drapeau français. » La photographie a un sens, celui du soldat qui fait le salut. Ce qu'elle signifie, en second lieu, c'est que la France est un grand Empire, que chacun de ses fils sert, sans distinction de couleur.
« Je me trouve donc devant un système sémiologique majoré : il y a un signifiant formé lui-même déjà d'un système préalable (un soldat noir fait le salut militaire) ; il y a un signifié (c'est ici un mélange de francité et de militarité). Il y a enfin une présence du signifié au signifiant. » Roland Barthes formalise ici la terminologie des mots signifiants/signifié/signe dans chacun des deux systèmes sémiologiques.
Il devient connu et passe de colloques, en conférences, de poste à l'étranger Bucarest, le Maroc jusqu'aux cours du Collège de France. Nous garderons tous en mémoire sa voix inimitable et le silence quasi religieux quand nous l'écoutions donner ses leçons.
Mémoire
Tiphaine Samoyault a eu accès aux agendas de Barthes. Son livre est étayé de photos, de calepins, et l'on retrouve avec émotion la graphie de Barthes, quelques-uns de ses dessins. Elle s'appuie sur les lettres écrites à Philippe Rebeyrol, rencontré en classe de 4e, au lycée Montaigne amitié très proche de l'amour et qui démontre l'ambition de Roland Barthes : « La nature générale d'une critique moderne devra être, je crois, de décrire plus et d'expliquer moins, de s'attacher davantage à l'œuvre même, à sa constitution organique, aux linéaments permanents de l'univers spirituel qu'elle révèle, plus qu'à ses sources et à ses entours, sociologiques ou littéraires. »
Barthes et la politique
Tiphaine Samoyault démontre fort bien à quel point Barthes était en quelque sens à contre-courant de l'histoire tout en le défendant. En effet, marxiste non communiste, Roland Barthes appartient au camp de gauche, (et cela depuis le lycée). Mais il ne signe pas le « Manifeste des 121 » en 1960, sur « le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie ». Il reste en retrait en 1968, « alors qu'il est si présent dans ses prémisses ». Il y a chez Barthes une méfiance à l'égard des postures : « On tiendra pour suspects toute éviction de l'écriture, tout primat systématique de la parole. »
Tiphaine Samoyault essaie de nous faire croire que son « engagement est direct, non ambigu », et avait une autre stature en expliquant sa mise en retrait ainsi « un travail acharné sur et contre les langages ».
Mais en bonne biographe trop attachée à son sujet, Tiphaine Samoyault nous explique que Barthes ne peut s'y impliquer en raison de soucis de santé. Or, nul n'ignore que Barthes ne voulait pas s'impliquer et tout le monde se souvient d'assemblées générales où il fut accueilli par : « Les structures ne descendent pas dans la rue ! ».
Le problème de cette biographie est qu'elle n'en est pas une. C'est du Barthes sans être Barthes. C'est un long travail fouillé, très documenté, exhaustif sur l'œuvre, très bien écrit mais qui ne donne, en rien, envie de lire Roland Barthes. C'est dommage, ce pavé ressemble plus à une thèse d'état qu'à une réelle biographie. Si on compare celle de George Bataille par Michel Surya avec ce livre, il y a un tel écart, que la déception est encore plus grande.
Nous restons sur notre faim, à quand une suite pour nous faire découvrir l'homme touchant qui rêvait de pouvoir écrire un roman ?