Nul besoin d'ajouter un vernis ou quelques fioritures pour apprécier , si immédiat. La sincérité des mots, la beauté de la langue et la simplicité de l'histoire s'harmonisent sans contraintes et, sans excès délivrent au lecteur un moment lumineux, empreint de tendresse et d'émotions, troublant, imprévisible mais tellement réconfortant au final.
Aussi laissez vous prendre par la délicatesse de Jocelyne Saucier, imprégnez-vous des vastes étendues de l'Ontario, puisez de l'énergie dans ces contrées sauvages, âpres mais grandioses puis pénétrez avec intensité mais bienveillance au sein de cette petite communauté du lac et là, respirez, doucement mais en profondeur et délectez-vous d'un rythme soudain plus lent, mais ô combien bénéfique. Un sentiment de liberté va vous gagner. Décidemment, ce livre est un privilège. Prolongez ce bien être en le partageant. Parfois la littérature est une grâce.
Cette histoire séduit d'emblée, sans prétentions, sans même le faire exprès. Comme par erreur. En effet, raconter le quotidien d'une petite communauté de gens âgés, reclus dans une vaste forêt du Canada aurait de quoi faire fuir n'importe quel lecteur sensé et pourtant, bien loin de toute morbidité et de tout ennui, ce roman, au contraire, réjouit davantage qu'il n'attriste ou désespère, apaise et fait du bien.
On ne sait pas exactement ce qui a conduit Charlie, Tom et Ted dans la forêt, s'ils fuient une quelconque autorité, une société liberticide ou des souvenirs, des fantômes trop douloureux. Ici, ils sont libres, prennent le temps, surveillent les plants de marijuana de Bruno et Steve, rythment leur quotidien par des actes utiles. Une vie épurée sans grande futilité, au plus près de la nature, pas toujours douce, notamment lorsque le froid, la tempête éprouvent, font souffrir. Mais une vie tranquille, sans réelle menace, plutôt sereine et contemplative, valorisée par une grande tolérance, une solidarité et une amitié franches et entières. Ici la Vieillesse s'épanouit encore au fil des jours, des saisons, sans contraintes avec le privilège d'être toujours libre, de sa vie comme de sa mort. « Il y avait un pacte de mort entre mes p'tits vieux. Je ne dis pas suicide, ils n'aimaient pas le mot […] L'entente disait qu'ils ne laisseraient pas l'autre se dissoudre dans la souffrance et l'indignité en regardant le ciel. »
Une photographe, (« on l'appela Ange-Aimée ») en quête de témoins des Grands Feux (1910-1920) qui incendièrent le nord de l'Ontario (une réalité historique) parvient jusqu'à ces trois octogénaires, mais lorsqu'elle arrive, Ted, celui qu'elle recherche, vient de mourir. Un contretemps vite oublié qui l'invite à rester un temps avec eux, à profiter comme eux de cette vie simple, à se reconquérir elle-même ; surtout lorsqu'une vieille femme, Marie-Desneige, vague tante de Bruno, oubliée 66 ans dans un hôpital psychiatrique, intègre la communauté pour commencer à vivre et à aimer.
Une amitié qui la retient plus encore dans cet endroit isolé, loin de toute civilisation. Sans pour autant, oublier la raison de sa venue et les témoins des Grands feux dont elle souhaite pérenniser la mémoire, (intrigue d'ailleurs qui sert de fil conducteur et attise la curiosité du lecteur), le lecteur, comme son personnage, sent bien que l'essentiel est ailleurs.
« L'histoire s'installe tranquillement. Rien ne se fait très vite au nord du 49ème parallèle. »
Sans intention philosophique ni discours contestataire ou jugement moral sur notre société et civilisation, ce roman va bien au-delà, rend un vibrant hommage aux vieux, à la liberté de mourir, à l'amour et à la nature. Sans commentaires superflus. Juste bienveillant.
« Le silence vaut mieux que le bavardage, surtout quand il est question de bonheur et qu'il est fragile. Le bonheur a besoin simplement qu'on y consente. »
Ce livre, prochainement adapté au cinéma, a remporté de nombreux prix à sa parution au Québec, dont le Prix des Cinq Continents de la Francophonie, le Prix France-Québec et le Prix des Collégiens.