Une histoire incontournable pour toute personne ayant vécu à San Francisco, ou y vivant encore, mais aussi pour tout visiteur qui arrive là et pose sur la ville un regard d’histoire. Qui aujourd’hui, grâce au film de Gus Van Sant, devient une histoire incontournable pour le pays entier, une grande histoire américaine comme les gens d’ici les aiment tant avec un héros sacrifié parce qu’il défendait ce qui est le fondement même de la constitution américaine, l’égalité pour tous. Et bientôt une histoire mondiale puisque le film sortira dans l’année dans la plupart des pays (le 4 mars 2009 pour la France).
Milk, Harvey Milk, puisque c’est de lui qu’il s’agit, premier homme politique ouvertement gay, a siégé au conseil municipal de la ville de San Francisco en 1977, a été le leader de la communauté gay, et le porte-parole du droit des petites gens, travailleurs, opprimés et défavorisés, avant d’être brutalement assassiné ainsi que le Maire de la ville, George Moscone, en novembre 1978 par un des membres du conseil municipal, Dan White.
Gus Van Sant s’attaque au difficile genre de la biographie filmée et s’en sort admirablement. Et ceci, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il refuse l’exhaustivité, un film anecdotique que serait la mise bout en bout des différents événements de sa vie. Non, il circonscrit son récit d’emblée à une partie de la vie de Milk, son arrivée à San Francisco et son entrée en politique, adoptant de plus le point de vue de Milk à la veille de sa mort qui enregistre une cassette au cas où justement quelque tragique accident surviendrait, pressentiment troublant.
Coller au plus près du réel
Ainsi Gus Van Sant a-t-il les mains libres pour faire le film qu’il désire, plus intimiste, plus ramassé dans le temps, concentré sur quelques épisodes caractéristiques de cette destinée courageuse, et loin des premiers projets qui depuis 16 ans se succédaient les uns les autres, des productions à gros budget hollywoodiennes ! Ensuite parce qu’il ne nous propose pas seulement un film sur la vie de Milk, mais invite à une véritable plongée dans le monde socio-politique des années 70, dans le San Francisco précurseur du mouvement des droits civiques, des mouvements pacifistes, féministes, ceux de libération sexuelle, etc. et nous permet ainsi de voir la distance parcourue (ou non parcourue !) depuis lors jusqu’à nous jours.
Une vie, un combat
Par exemple, un des combats centraux du film est celui contre la proposition 6, une mesure conservatrice de 1978 qui consistait à interdire à tous les homosexuels l’accès aux postes d’enseignement dans l’école publique. Ce combat fut un des plus grands succès de Milk, le moins évident, celui où, défiant la stratégie politique courante, il n’hésita pas à débattre avec son opposant Briggs, particulièrement dans les lieux les plus à droite de l’État, celui où il refusa de minimiser la question des droits homosexuels.
Au regard de ce qui s’est passé 30 ans plus tard, en novembre 2008 en Californie, lors de la bataille contre la proposition 8 cette fois, une mesure pour l’interdiction du mariage gay qui vient donc juste de passer en Californie, on peut mieux mesurer l’incroyable force de caractère qui dut animer Milk à une époque où la visibilité de la communauté était inexistante aux yeux de la majorité, une époque où les flics descendaient dans les bars « casser du pédé ».
Toujours aussi actuel
Du coup on peut aussi mesurer, malheureusement, à quel point aujourd’hui le combat reste encore et malgré tout le même, l’égalité pour tous ; aujourd’hui où paradoxalement il est incontournable pour n’importe quel homme qui brigue un poste à San Francisco de soutenir le droit des gays, et on peut regretter avec certains que le film ne soit pas sorti plus tôt pour avoir un impact sur ce référendum de la proposition 8 !
Sean Penn, sidérant
Le film commence comme une romance, dans le métro de New York, où Harvey Milk, campé par l’acteur Sean Penn au point de disparaître derrière lui, remarquable composition d’acteur (qu’on espère récompensée aux prochains Oscars le 22 février), drague celui qui deviendra son amant et compagnon de route, Scott Smith, lui aussi brillamment interprété par un James Franco méconnaissable ; prélude intimiste puisqu’ensuite rapidement ils quittent New York avec un peu d’argent en poche, arrivent à San Francisco, louent un appartement et ouvrent un magasin de photo ! (impensable aujourd’hui, Les Harvey Milk ne peuvent plus habiter ni Castro ni San Francisco devenue une ville trop chère…).
Rien ne préparait Harvey Milk particulièrement à la politique, sinon cette part d’humanité qui est en chacun de nous et qui parfois nous entraîne vers notre prochain et pour quiconque a milité, c’est le regard ému qu’on peut le voir commencer à faire de même pour les causes justes de son voisinage ; et le regard amusé qu’on le voit la première fois monter sur une boîte de savon dans la rue pour parler aux gens autour de lui de réforme dans la police, de protection des locataires, de contrôle des loyers, des pouvoirs publics, de l’amélioration des parcs, de protection… Tout commencera vraiment, et ironiquement, avec Teamster, syndicat de travailleurs « vu comme le syndicat le plus homophobe de tous les syndicats ! » se souvient Cleve Jones, activiste gay et ami de Milk, superbement interprété par Émile Hirsh (précédemment vu dans Into the wild, réalisé d’ailleurs par Sean Penn).
Des années 70 obscures
Mais dans les années 70, Teamster était en guerre avec la Compagnie Coors Brewing et essayait d’obtenir des bars de San Francisco qu’ils arrêtent de servir la bière Coors. Allan Baird, un des leaders de Teamster qui habitait dans le Castro vit là une occasion et contacta Milk qui fut d’accord pour aider si Teamster engageait en retour des gays comme chauffeurs de camion. « Ce n’était pas seulement San Francisco et la Californie, se rappelle Jones, on a réussi à faire sortir la bière Coors de tous les bars de l’Amérique du Nord ! » et les homosexuels de commencer à conduire des camions de bières…
Elu conseiller municipal, après 2 tentatives infructueuses, grâce à une réforme du mode d’élection, par quartier, qui changèrent radicalement l’équilibre des forces dans la ville, Milk fit partie du conseil le plus métissé jamais encore vu, avec des membres de la communauté asiatique, noire, et gays donc ; dans un autre quartier avait aussi été élu Dan White, un irlandais, catholique et conservateur, ancien flic, et pompier. Le film montre assez justement les forces en jeu qui ont conduit à l’assassinat final (l’assassinat d’ailleurs de Milk et du Maire George Moscone par White, le chaos et la confusion qui en suivit furent à l’origine des forces qui révoquèrent les élections par quartiers en 1980 et ce jusqu’en 2000 !).
Dernier atout, le film ne manque ni de légèreté ni d’humour, ce qui était loin d’être évident vu le propos tenu. Un film incontournable, et réussi à tous points de vue.