C'est un court roman autobiographique, tout empreint de poésie, d'images et de couleurs où la figure maternelle accompagne les morceaux choisis d'une existence vraiment romanesque, mouvementée et intense, engagée et multiple, passionnée et captivante, absolue et rebelle.
Le narrateur est né, sous l'occupation, d'un père Allemand. Un père qu'il ne rencontrera qu'à l'âge de 33 ans et dont sa mère ne lui parlera qu'à 18 ans. Il est né d'une union interdite mais assumée par les deux amants, « Ils s'aimaient en plein soleil. Ils ne se cachaient pas comme si la guerre n'existait pas ». Il est « l'enfant de l'amour » et ne subira ni moquerie ou injure dans son enfance, protégé par le nom de sa mère, déjà mariée à un soldat français qui revient après la guerre, lui pardonne son adultère et reconnaît cet enfant, comme son fils propre.
Est-ce la liberté et le courage de cette femme, qui toute sa vie durant, revendiquera cet amour, subira l'humiliation d'être tondue (avec son fils dans les bras) mais ne cessera jamais d'écrire à celui que la France enverra comme « médecin en Amérique, son cher grand diable », qui offrent au narrateur une existence si particulière, si riche en expériences et forgent un être fondamentalement engagé et actif, insoumis et vif, révolutionnaire et poète ?
Car cette vie est effectivement une Aventure en soi, qu'il égrène au fil de chapitres souvent courts, à travers un style sobre, doux et imagé. Chapitres qui le définissent tantôt en élève des Jésuites, tantôt en pasteur, « pas pour Dieu. Pour prendre la Parole » ; en philosophe sous Mai 68, en voyageur vers l'Orient (« J'en rêvais depuis mes lectures de Nerval »), en professeur même, un court temps (fatigué de ses errances) mais vite jugé subversif et incontrôlable.
Trop contestataire pour l'époque (« Mes élèves devenaient libertaires »). Prisonnier politique incarcéré à la Santé, inculpé de « participation à une entreprise de démoralisation de l'armée », se réfugie ensuite en Grèce, au Mont Athos et rédige son premier recueil de poésie « Ouvrez le feu » ; retourne voir « ses parents », s'occupe de sa mère, une fois morte. « J'ai préparé Juliette sans la moindre appréhension, je l'ai lavée, coiffée, parfumée, maquillée, aimée ».
Puis définitivement orphelin, du Mont Sinaï, il gagnera Jérusalem et constatera que la Terre promise n'existe pas et qu'aucun peuple de Dieu n'est légitime. C'est en Amérique latine, qu'il achèvera son parcours initiatique et son livre, sans jamais s'éloigner de l'image de sa mère.
De ses premières amours à ses premières lectures, de ses combats à ses désillusions, de son activisme sans relâche auprès de ceux que la société exclut ; TOUT en lui s'exprime avec poésie et il n'est pas de phrases dont le lecteur ne voudrait se souvenir et transmettre, faire siennes. Un cheminement personnel presque « extraordinaire » dont chaque page retient, tant l'écriture est agréable et sensible. Pure. Une quête de soi envoûtante, réellement attachante.
Au final, un beau texte, intime et puissant, lumineux qui confirme que Tristan Cabral, auteur d'une quinzaine de livres, est un poète incontournable dans notre littérature contemporaine.