Hôtel du Nord n’est pas qu’un classique du cinéma, Eugène Dabit n’est pas qu’un prix littéraire. Avant le noir et blanc de Carné, Arletty et son nasillard « Atmosphère, atmosphère », Louis Jouvet et son flegme philosophique, il y a un gamin de 25 ans, autodidacte, qui observe dans un cahier les allées et venues d’un hôtel pour ouvriers au bord du canal Saint-Martin.
Et c’est lui qu’on retrouve aujourd’hui, vivant comme jamais, dans cette édition illustrée avec talent par Christian Cailleaux chez Finitude.
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L’Hôtel du Nord, en 2025, ce n’est plus seulement un roman : c’est une enseigne, une réplique, une carte postale, un prix, un décor touristique. Bref, tout ce qui menace de fossiliser un texte comme une fleur sous verre. Christian Cailleaux casse la vitre, et derrière, Dabit respire encore.
Il faut dire que l'auteur n’avait rien d’un écrivain institutionnel. Né en 1898 dans un milieu modeste, parti de l’école trop tôt, peintre puis romancier par nécessité presque sentimentale, il écrit L’Hôtel du Nord en guettant le monde depuis la salle du café familial, acheté par ses parents en 1923. Ceux qui arrivent, ceux qui partent, ceux qu’on n’a jamais revus.
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Le roman, publié en 1929, recevra le tout premier Prix du Roman Populiste, devenu le Prix Eugène-Dabit... On a un peu oublié l’homme qui écrivait par fidélité, par timidité peut-être, par besoin de sauver du néant ces existences « sans poésie ni révolte ».
Le dessinateur redonne aux pensionnaires leurs épaules voûtées, aux Lecouvreur leur bonté fatiguée, aux rues du quartier leur lumière de fin d’après-midi. Dans ses 36 planches, il parvient à replacer le roman dans sa matière première : un Paris populaire qui n’existe plus, mais qui recommence à palpiter. Le colosse en imperméable, tout en angles sombres, semble taillé dans le même charbon que l’époque ; Renée à la fenêtre, courbe fragile dans la lumière pâle, respire un mélange de lassitude et de désir d’air ; et la même Renée effondrée sur son lit, corps ramassé, paraît dessinée d’un seul geste retenu. Son crayon granuleux, toujours au bord du tremblement, donne une matière presque tactile aux vies minuscules de l’hôtel.
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On connaît le film, son théâtre de brume, les bords du canal, Arletty qui marche comme si la ville était à elle. Mais le livre n’a pas les mêmes priorités. Eugène Dabit ne cherche pas l’effet, mais la justesse.
Les voix ne sont pas glamour, les vies ne sont pas héroïques. Ce sont des vies tenues ensemble par la camaraderie, la misère partagée, la gouaille, la tendresse en filigrane.
D’ailleurs, il faut saluer Finitude, maison qui ne se contente pas de dénicher des pépites contemporaines comme Joseph Incardona, mais qui a aussi l’élégance de ressortir des textes ni vraiment classiques, ni tout à fait oubliés, simplement importants. Des voix comme Jean-Pierre Martinet ou Ambroise Bierce.