a l'art de surprendre. Après “Le poids du cœur”, (2016), thriller futuriste, elle offre cette fois au lecteur, une histoire plutôt réaliste, à la fois caustique et intense, jamais morne, empreinte de situations inattendues, un brin farfelues mais convaincantes et rythmées.
Avec une lucidité parfois cruelle mais touchante, une habile proximité, elle met en scène une femme rayonnante, active et élégante, jusqu’alors désirable, aux prises avec le temps qui passe et la vieillesse, laquelle progressivement et de manière irréversible, lui ravit sa grâce et son charme séducteur.
“Elle avait atteint l’âge où sa biographie était irréversible. Elle ne pouvait plus être autrement, elle ne pouvait plus faire autre chose de sa vie”.
Soledad a soixante ans. Commissaire d’exposition à la Bibliothèque Nationale de Madrid, elle n’est ni mère ni mariée et vit très difficilement l’abandon de son amant, reparti vivre avec son épouse plus jeune, enceinte de surcroît. Au-delà de la séparation, douloureuse et blessante, elle est confrontée à elle-même, à ce corps qui s’abîme sans possibilité d’inverser le processus en marche.
“Le corps était une chose terrible, en effet. La vieillesse et la détérioration s’y tapissaient insidieusement et l’intéressé était souvent le dernier à l’apprendre.”
Furieuse et peu disposée à se résigner, prête à tout pour essuyer cette humiliation et faire naître la jalousie de l’homme “fourbe”, elle décide d’engager un gigolo de trente ans le temps d’une soirée où le couple reformé sera présent également. Mais tout ne se passe pas exactement comme cela était prévu et Soledad, se révèle alors sans fard, à la fois plus troublante et fragile qu’elle ne le laisse paraître, mais aussi plus cynique et fascinante, drôle et pathétique. Aussi attachante qu’irritante.
A travers Soledad la rebelle, la combattante éperdue d’une vie que le passage du temps éprouve malgré toutes les armes employées (des crèmes aux médicaments, en passant par les vêtements et autres subterfuges), Rosa Montero évoque avec une précision désarmante, une résonance subtile, l’angoisse de devenir vieux.
“Ce corps mutant qui tout à coup se plissait, se ramollissait, se crevassait, s’affaissait, se déformait.”
De ce corps qui fait honte, que l’on n’ose plus montrer, de ce désir qu’il faudrait alors contraindre, réfréner, alors que le besoin d’aimer, l’envie de sexe existent encore, de cette impossibilité pour Soledad à s’intégrer dans son âge (au regard de la société), l’auteure n’évite rien, à la fois rude et libre.
De la mort qui approche, de la folie souterraine, des failles et des souffrances de l’enfance, des regrets, du vide de l’existence, de l’angoisse, elle se saisit de tout, sans s’attarder forcément mais son regard est implacable et vif.
Une écriture sans tabou dont l’humour allège la noirceur. Incisive mais joyeuse, réellement stimulante.
“C’était tellement banal qu’elle soit là à embellir son cas avec des références cultivées”.
De plus, en associant au récit de Soledad, les vies maudites de certains écrivains (de W. Burroughs, P.K. Dick aux frères Mann en passant M. Twain ou G. de Maupassant) qui constitueront l’exposition à laquelle le personnage travaille, Rosa Montero apporte au roman une curiosité supplémentaire assez passionnante, exaltante et confirme la place vitale de l’Art. Quant à la description du milieu artistique et mondain madrilène, elle a la couleur de l’expérience vécue.
Agréable et féroce, très contemporain, voici un roman à l’équilibre parfait (avec le concours de Myriam Chirousse, la traductrice).