rappelle dans un récent article du monde (14/02/14) qu'en Afrique, 54 pays sur 38 pénalisent l'homosexualité et 4 (Soudan, Somalie, Mauritanie et Nord du Nigéria) prévoient même la peine de mort. Lorsque l'écrivain kenyan révèle publiquement son homosexualité dans une nouvelle publiée sur internet intitulée « Je suis homosexuel, maman », il pose un acte politique et on peut considérer alors que le 1er roman de Tendai Huchu s'inscrit en partie aussi dans un militantisme de la cause homosexuelle en dénonçant un pays répressif, le Zimbabwe.
D'autre part, il présente au lecteur une description acérée, parfois drôle et grinçante, parfois émouvante, douloureuse ou sensible de la société urbaine d'Harare et le plonge dans un univers exotique et méconnu, réaliste, haut en couleurs où légèreté et dureté se succèdent au gré d'un rythme agréable et enthousiasmant.
« C'est comme si on était pris en tenaille entre le passé et la modernité. Nous avons des lignes électriques mais pas de courant la plupart du temps. Nous avons des voitures, mais pas d'essence à mettre dedans. Des téléphones portables, mais des réseaux qui ne relaient que par intermittence. »
Véritable chronique sociale d'une ville malmenée par l'hyperinflation, la corruption et la répression, l'influence des églises évangéliques, le machisme sordide, les inégalités en tous genres, l'absence d'espoir mais où la dérision sauve encore de la désolation. « L'atmosphère était empreinte à la fois d'amitié, de violence, d'innovation, de pauvreté et de joie, mais le sentiment qui dominait, c'était le désespoir ; une sensation d'impuissance, comme si chacun se trouvait dans une fosse dont il ne pouvait s'extraire. »
Vu comme cela, le Zimbabwe n'attire vraiment pas et pourtant le lecteur s'intéresse à l'intrigue, à ce salon de coiffure si authentique et aux personnages expressifs et attachants qui le font vivre. Il participe à l'ambiance animée, aux éclats de voix permanents, au brouhaha local, grâce à une écriture vivante, assez joyeuse.
Ce premier roman, par ses élans spontanés, son style direct parfois naïf, offre une lecture chaleureuse et un plaisir immédiat, même si la fin, un peu hâtive désappointe légèrement.
Cliquetis des ciseaux, extensions de tresses et cheveux synthétiques, musique d'ambiance à balancer les hanches, et hauts bavardages ; ce salon, plutôt tendance, tenu par Mme Khumalo, s'anime chaque jour de clientes fortunées. Vimbai, l'employée modèle, coiffe avec assurance femmes de ministres et de la haute bourgeoisie, garantit la bonne réputation du commerce. Son secret : « faire en sorte qu'une femme se sente Blanche. Pas métisse, ni Indienne, ni Chinoise ».
Aussi lorsqu'un jeune homme, Dumisani, intègre le salon et séduit par sa touche inédite les clientes, devient même incontournable ; la défiance de Vimbai ne surprend pas mais tient peu car ce jeune homme sensible est ouvert, sympathique et séduisant. Installé, d'abord par amitié, chez elle, il devient vite indispensable, s'occupe même de sa fille (issue d'un viol) qu'elle élève seule. Peu à peu, il la présente à sa famille, fortunée et influente et Vimbai, d'un milieu plus modeste, semble, un moment, être l'héroïne d'un conte de fées. Un statut précaire car dans ce pays gangrené par la corruption, exsangue et liberticide, le bonheur est trop précieux pour s'attacher à elle.
A travers le portrait réaliste de la narratrice, l'auteur dépeint la vie citadine d'une jeune femme mère célibataire, victime des regards sexistes ; le chaos de la capitale où la circulation est un enfer, où l'éducation de qualité est réservée à une élite. A Harare, le taux de chômage touche près de 90% de la population et le marché noir est monnaie courante.
« L'indépendance était-elle devenue un fardeau plus lourd que le joug de l'oppression coloniale ? »
Mais le jeune écrivain ne se lamente pas dans cette « comédie humaine ». Il y a de la joie, des rires et des grincements, de la dérision dans cette histoire douce-amère, à la fois vive et colorée, pleine de bruit où le pragmatisme des habitants, leur volonté de survivre, de se débattre de ce marasme, de profiter de la vie malgré tout l'emportent.
Si l'homosexualité du coiffeur, révélée dans la dernière partie du roman mais pressentie dès le début, intensifie (sans que cela soit vraiment nécessaire) le côté dramatique (presque pathétique) et tragique de l'histoire, si la réaction de Vimbai paraît excessive, trop émotionnelle, contrastée par rapport à son personnage et lui enlève un peu de crédibilité et de profondeur, elles n'ôtent cependant pas au lecteur la satisfaction d'avoir pris part à une histoire divertissante et rythmée, pleine d'intérêt, révélatrice d'un contexte sociopolitique et culturel mal connu des Européens.