Je sirotais avec délectation un whisky hors d’âge quand un brouhaha monstre perturba la tranquillité de ma dégustation… Alors que tout le personnel de l’hôtel Lutetia se mobilisait pour encadrer le flot de visiteurs soudainement arrivé, j’aperçus au loin Grégoire, l’un des grooms. Impossible de claquer des doigts pour attirer son attention : je balançais une assiette de cacahuètes vides en sa direction qu’il saisit au vol, comprenant le double message de mon geste.
Arrivant avec une nouvelle coupole de fruits secs, Grégoire s’expliqua :Pardon monsieur, mais les samedis littéraires de l’hôtel reprennent ce jour même, et ainsi que vous le voyez, tout le monde s’empresse.
Nicolas.G : Certes… Mais enfin, pourquoi tant d’agitation ? Reçoit-on un Goncourt ou un Nobel pour cette première ?
Grégoire : Presque, monsieur : un proche du jury Goncourt, précisément. M. Pierre Assouline. Vous le savez, son précédent ouvrage se déroulait dans les murs de l’hôtel, aussi nous fait-il l’honneur d’inaugurer cette première.
Nicolas.G : Oui, je sais. J’ai bouclé le premier chapitre, mais j’ai dû arrêter…
Ah, Pierre… « Pierrot, mon gosse, mon frangin, mon poteau, mon copain... » Voilà que pour te tenir au chaud en cette période de frimas finissant, tu délaisses l’enceinte de ta féminine République des livres pour le Salon président du Lutetia ! Et comme je méditais sur les valeurs républicaines de la féminité, voici que l’ami Pierre s’approche de moi :
Pierre Asssouline : Ah, Nicolas ! Quelle surprise ! Que faites-vous ici ?
Nicolas.G : Tu sais, mon lunaire Pierrot, j’ai quelques entrées depuis que j’ai racheté l’hôtel…
Pierre Asssouline : Ah… Vous n’étiez donc pas venu pour la lecture ?
Nicolas.G : Non, mais puisque tu es là, je t’offre un verre. Et leur rendez-vous littéraire, tu sais ce qu’ils vont y mettre dedans ?
Pierre Asssouline : Euh, non, merci pour le verre : jamais avant le champagne… Ben je pense que ça va être une lecture de mon livre, puis des questions et un buffet. Et tu pourras toujours acheter ceux de mes livres que tu n'as pas...
Nicolas.G : Mouais…
Je feuilletai distraitement le dossier de presse que Petit Pierre me tendit. Cependant, les exhalaisons de tourbe qui s’échappaient de mon verre faisaient frisotter la moustache naissante de mon confrère, aussi lui expliquai-je que j’allais le descendre de sorte qu’il ne serait plus soumis à la tentation.
Pierre Asssouline : Me descendre ?
Nicolas.G : … Pierre, tu le fais exprès ? Tu as vu, le 25 avril prochain, ils invitent Robert Littell pour L'hirondelle avant l’orage, puis les rendez-vous suivants seront le 16 mai, avec Éric Chevillard et le 20 juin avec Lydie Salvayro. Tu viens pour les suivantes, voir tes camarades auteurs ?
Pierre Asssouline : Ah ! Euh ! C’est que… le 25, j’ai la compétition de piscine… et ma femme reproche de passer trop de temps à bâtir ma République… et le petit dernier fera sûrement une rechute d’adolescence en juin, à l’approche du bac..
Nicolas.G : Je vois, oui... L’acception du mot solidarité m’apparaît plus clairement. Je prends un dernier verre et j’arrive.
Nous nous séparons sur ces mots, et je me rends finalement dans le Salon président, pour découvrir ce que sera notre saemdi littéraire...
En guise de lectrices, deux femmes de noir vêtues se tenaient devant des pupitres, alors que la salle, muette de respect/stupeur/hébéphrénie, rayez la mention inutile, retenait son souffle. Confortablement installé sur l’un des 150 fauteuils rangés à l’attention du public. Je me renfonçais en croisant les bras, les yeux rivés sur les lectrices. Si je ne fus pas le premier à piquer un léger roupillon, du moins l’ivresse des verres de Caol Ila m’incitèrent à ne pas lutter.
D’ailleurs, mon voisin déclencha les hostilités en piquant ostensiblement du nez : il laissait ainsi s’échapper un léger ronronnement d’aisance, attestant d’un sommeil calme et serein. À ma droite, ma voisine opina du chef et d’un clin d’œil complice s’entoura de son plaid, pour mieux profiter de la chaleur ambiante et se laisser emporter par le flot de paroles…
To be continued... ou pas...