La psychanalyse à l'épreuve du bébé

La connaissance du bébé et l'expérience auprès des bébés sont un apport considérable à la théorie et à la pratique de la psychanalyse. La souffrance psychique la plus intolérable, la plus désorganisatrice concerne toujours l'infantile en soi, mais plus fondamentalement les aspects bébés du soi. Aussi, l'écoute et la prise en compte des aspects bébés sont-elles essentielles et primordiales dans le travail de soin psychique, même si elles ne sont pas exclusives. L'approche du bébé et de la petite enfance est ainsi formatrice pour tout psychanalyste, tout praticien du soin psychique. L'observation et la connaissance des conditions de développement du bébé, des particularités de la parentalité mobilisée par les besoins du bébé, permettent de construire des modèles pertinents du soin psychique, de ce qui soigne dans le soin. Le soin psychique consiste dans son essence à déployer une "parentalité" attentive aux aspects infantiles et bébés des patients. L'observation des bébés peut aussi donner des modèles de la position d'observation clinique dans les pratiques de recherche. Ce livre fournit des exemples multiples et dans des contextes variés de la manière dont se manifestent les aspects bébés et dont le psychanalyste peut les entendre, les repérer, les prendre en compte. Il met en évidence la "parentalité" de tout psychanalyste, de tout soignant, requise pour être au service de la croissance psychique du bébé en chaque patient. A partir du bébé, ce sont ainsi les fondements de la position clinique et de la pratique clinique qui sont interrogés, éclairés, spécifiés.

Comment, dans différents contextes, le couple s'adapte-t-il pour faire famille et comment les différentes familles déterminent la formation des couples et leur avenir ? L'arrivée d'un enfant mobilise narcissiquement ses parents par la résurgence d'un certain passé familial et par l'observation du bébé qui apporte sa contribution dans le devenir parent. Le thème qui traverse cet ouvrage est brillamment introduit à travers les mythes et fantasmes communs qui relient fondamentalement psychanalyse et anthropologie. Le "faire" couple interroge tant le psychanalyste que l'anthropologue : dans ses aspects psychanalytiques groupaux qui interrogent le sens et la subjectivation du couple, tandis que l'anthropologue nous fait voyager dans les différentes organisations familiales qui conduisent à des formes de couple "à distance" et a l'importance d'un "capital migratoire" qui se conçoit dans un apport aux familles des sacrifices consentis par les couples. Enfin l'intérêt clinique et thérapeutique de l'approche psychanalytique groupale est à souligner dans les interventions reprises dans ce deuxième cahier de l'APPCF.

Une part essentielle du travail de soin psychique concerne l'approche des aspects bébés de tout patient. Cela car la souffrance la plus intolérable, car la moins pensable, est relative non seulement aux aspects infantiles du soi - ce qui est communément admis - mais plus particulièrement aux aspects bébés du soi. Albert Ciccone donne une représentation de cette "part bébé du soi". Il met en évidence l'aide que peut apporter à toute pratique de soin psychique l'expérience auprès des bébés. Il illustre l'écoute de ces aspects bébés dans la clinique et décrit la "parentalité" soignante. Les contributions des différents auteurs éclairent ensuite ces idées, font travailler ces modèles chaque fois dans des contextes cliniques singuliers : toxicomanie, addiction aux jeux, errance extrême, anorexie, inceste et violences sexuelles, maltraitance et traumatismes précoces, schizophrénie, maladies somatiques, fin de vie... Les cliniques concernent des enfants, des bébés, des adolescents, des adultes de tout âge, des familles, des équipes soignantes. Chaque fois est mise en évidence l'utilité d'écouter et de prendre en compte la part bébé du ou des patients, ou des différents protagonistes. Les auteurs des contributions sont tous psychologues, praticiens confirmés du soin psychique, psychanalytique. La diversité et la richesse des situations cliniques présentées confortent l'intérêt de cet ouvrage, qui fait suite et écho à La psychanalyse à l'épreuve du bébé paru en 2011.

Dans le numéro 60 de la revue L'autre, la revue transculturelle de référence qui fait dialoguer les cultures autour des grandes questions de société, suite et fin du dossier sur l'observation et l'étude des bébés dans le monde publié dans le précédent numéro 59 de notre revue. Etonnant voyage à travers les différentes manières de naître humain et de devenir parent. Des universitaires de renom, psychologues, psychanalystes et anthropologues, continuent à confronter leurs regards sur la relation mère / bébé, ce que l'on transmet à l'enfant et comment on l'appréhende, qu'on soit chercheur ou praticien. Vous trouverez également l'entretien de l'anthropologue Michel Agier, qui appelle à ancrer l'anthropologie dans la sphère publique et à l'appréhender comme une manière d'être au monde, une démarche ouverte à tous ceux qui seraient en mesure d'opérer le décentrement de soi et du "nous". Dans ce numéro une grande diversité des sujets évoqués : la prise en charge des enfants soldats en Centrafrique, la place de l'identité postcoloniale pour les adolescents franco-algériens à l'école, l'expérience de la perte lors de la migration en Afrique de l'Ouest et des notes de recherche sur la pratique du tatouage.

La psychanalyse a désormais à se déployer dans des champs plus vastes que celui dans lequel elle est née, et de ce point de vue le bébé apparait comme une chance pour son avenir. Que l'on adhère ou non aux acquis de la psychanalyse, les attaques à son encontre valent en fait comme des attaques contre le soin psychique, contre les sciences humaines et finalement contre la liberté de pensée. Il importe donc d'être extrêmement vigilant sur ce plan. Cela étant, si la psychanalyse demeure épistémologiquement très moderne elle a désormais à se déployer dans des champs plus vastes que celui dans lequel elle est née à savoir principalement le champ de la névrose de l'adulte. De ce point de vue, le bébé apparaît alors comme une chance pour l'avenir de la psychanalyse. Les nouvelles connaissances sur le développement précoce psychique de l'être humain - ce que l'on désigne parfois sous le terme de psychiatrie du bébé - nous apportent en effet de nouvelles pistes de réflexion notamment quant aux destins de l'originaire, quant à l'émergence de l'objet et quant à la représentation des liens à l'objet. La néoténie humaine, la place centrale du corps chez le tout-petit ainsi que l'épigénèse nous permettent ainsi de penser une psychanalyse capable de se déployer en-deçà du couple classique et très différencié du sujet et de l'objet. Ces considérations essentielles dans le champ de la périnatalité nous amènent d'une part à revisiter d'une manière plus générale - y compris chez les adolescents et les adultes - les problématiques de la demande, du transfert et de l'interprétation au sein de nos dispositifs thérapeutiques et d'autre part à enrichir nos réflexions quant aux processus de formation. Le bébé, une chance à ne pas manquer !

Il est maintenant admis que le trouble du spectre autistique est neurodéveloppemental, résultat d'une interaction complexe entre les facteurs génétiques et environnementaux. Les films familiaux d'enfants qui sont devenus autistes montrent que les bébés à risque ont dès la naissance une motricité désorganisée et difficilement compréhensible pour les parents : pauvreté de la motricité involontaire, appelée "mouvements généraux" , absence de mouvements Fidgety, ces petites rotations charmantes des mains, absence de fluidité dans l'ondulation continue du corps. Ces caractéristiques ont des répercussions sur la façon dont on porte et manipule le bébé, et probablement aussi sur la façon dont les mouvements du bébé prennent sens pour son parent. Ils ont une haute valeur prédictive sur le devenir neurologique des nourrissons. A partir de sa thèse, étayée sur son expérience d'ostéopathe de nourrissons, de rééducation périnéale auprès de mères et de psychologue psychanalyste des interactions précoces parents-bébé, Annik Beaulieu livre ici un travail qui fera date. Elle montre l'importance d'un diagnostic non pas précoce mais précocissime (avant 3-5 mois) et la nécessité d'une prise en soins d'emblée transdisciplinaire des bébés à risque d'autisme et de leurs parents. Au fil des cas cliniques évoqués, elle illustre comment les premiers liens avec les parents, depuis le corps-à-corps jusqu'aux interactions précoces, peuvent en bénéficier.