Si vous suivez depuis le (2012), vous avez déjà pénétré l'immense territoire septentrional, éprouvé la nuit polaire et la lumière estivale permanente, perçu la complexité des relations humaines entre le peuple sami, éleveur de rennes et une société plus moderne, tournée davantage vers le progrès et le profit, l'exploitation (surexploitation ?) des richesses naturelles.
En compagnie de Klemet et Nina, les deux policiers de la patrouille P9 de la police des rennes, et d'autres personnages, dont la présence récurrente dans les trois récits offre à ce dernier une configuration désormais familière et une agréable proximité avec le lecteur, l'intrigue se déploie, cette fois plus au sud de la région et en Suède, au cœur d'un environnement désolé, superbe et montagneux, très loin de la mer de Barents (Le détroit du loup, 2014).
Avec la même approche socio-ethnographique, rigoureuse et précise, avec le même engagement et la même ferveur à plaider pour une minorité autochtone et la sauvegarde de leurs terres ancestrales, Sápmi, Olivier Truc, parvient de nouveau, sans l'ombre d'une redondance, à déclencher la curiosité du lecteur, un appétit de savoir captivant et carrément enthousiasmant.
De plus, l'intérêt et l'attachement qu'il porte à cette région, révélés notamment par des descriptions très visuelles de paysages grandioses, deviennent vite contagieux, garants d'une évasion et d'un dépaysement fascinants. Après trois immersions en territoire boréal, l'envie de voyage risque fort de vous démanger.
Avec l'automne qui s'annonce, l'obscurité qui gagne chaque jour quelques minutes supplémentaires et la pluie, pénétrante et incessante, les éleveurs sames et leur chef, Petrus Eriksson, s'activent jusqu'à l'épuisement auprès du troupeau. C'est la saison de l'abattage et la main d'œuvre, chaque année plus rare, rend l'activité de plus en plus complexe et éreintante. Sans compter l'hostilité des propriétaires forestiers qui revendiquent leur territoire et souhaiterait les voir partir.
Mais un squelette sans crâne retrouvé dans l'enclos des rennes et vieux de quelques siècles relance avec une certaine violence et beaucoup d'enjeux un procès entamé à la cour de Stockholm entre le sameby Balva et des propriétaires de forêts à propos d'une zone dont chaque partie revendique le droit foncier.
Une enquête délicate, extrêmement dense dont se charge la police des rennes et où se côtoient à la fois des éleveurs, des exploitants forestiers mais aussi des anthropologues, des antiquaires douteux, un procureur ambitieux, des employés de musée, un groupe de vieilles dames adeptes de marche nordique et de bilbingo (sorte de loto-in où les participants jouent depuis leur voiture), une masseuse, un immigré clandestin chinois, sans oublier Nils Ante, l'oncle de Klemet et sa compagne, Changounette et quelques autres personnages secondaires déjà présents dans les romans précédents.
Avec un rythme assez soutenu, sans pour autant perdre le lecteur, l'auteur emprunte plusieurs pistes en plusieurs endroits et à travers plusieurs époques et construit une intrigue, certes réaliste, mais où l'Histoire et la science, le journalisme d'investigation, par moments, semblent vouloir dévorer l'atmosphère romanesque policière initiale, si précieuse au lecteur.
Ainsi, par-delà les rivalités culturelles entre deux communautés, Olivier Truc confronte la Suède à certains de ses démons, des dérives de la phrénologie à l'eugénisme des sociaux-démocrates, aux problèmes plus contemporains d'intégration liés à l'immigration.
Spécialiste incontestable de ce pays, il éclaire solidement le lecteur, exhaustif et précis, au détriment parfois de la vie intime des deux héros (qui intéresse le lecteur !), du mystère, des rebondissements et de la tension psychologique, plus ténue cette fois.
Il n'empêche, l'envie de continuer à découvrir cette région si singulière, n'a pas cessé, se fait même encore plus ardente et on ne doute pas un instant que l'auteur a encore de la matière pour nous divertir avec intelligence. Vite, le prochain !