Bientôt, j'irai en Roumanie, le cœur battant et l'esprit curieux. Car ma destination n'est pas Bucarest, la grande ville. Je vais plus loin, près de la Moldavie, à la ville de Iasi (prononcer Iash, d'après ce qu'on me dit).Je suis un des invités du festival du premier roman organisé par le Centre Culturel Français de la ville, et le festival de Chambéry. L'occasion pour moi d'approcher des étudiants et des lycéens roumains, et qui sait? Peut-être d'obtenir la traduction de mon roman "La nuit du Vojd" en roumain?D'après ce qu'on m'a dit, mes lecteurs roumains ont été sensibles au thème de mon ouvrage. Et pour cause: eux aussi ont eu un Vojd (et "une" Vojd peut-être encore pire que le mari). Pendant des années, la méfiance généralisée, la peur diffuse, furent le lot des Roumains. Comme les esclaves du temps des pyramides, mourant de faim, ils furent mobilisés nuit et jour pour élever le palais présidentiel, une bâtisse démesurée qu'il ne faut pas manquer de voir, à Bucarest. Elle dépasse l'imagination. Le château de Versailles, à côté, apparaît assez modeste.Le palais s'ouvre sur une avenue plus vaste que les champs-Elysées; les immeubles font songer à Haussmann, en plus grand. Pour la percer, le Vojd roumain fit détruire de vieux quartiers et déplacer une église. Le résultat n'est pas aussi terrible qu'on pourrait le penser.La Roumanie, pour moi, c'est aussi ce formidable roman qu'est Dracula, de Bram Stoker. En allant là-bas, si loin, c'est à ce récit auquel je penserai. Chef d’œuvre à mes yeux, aussi bien par son contenu, une histoire palpitante, riche de symboles, que par sa forme, un roman épistolaire qui mêle la correspondance et les journaux intimes de tous les héros. La construction est impeccable. On ne peut pas s'arrêter. Le livre fait rêver, à la nature sauvage de la Roumanie, de ce monde qui semble si lointain, si étrange.Le roman de Dracula est initiatique : Jonathan Harker, en se rendant en Roumanie, y découvre, le Mal, le Sexe et la Mort. Adolescent, ce texte m’a fasciné. Je voulais aussi me rendre en Transylvanie, y vivre en solitaire dans quelque château médiéval, pourvu d’une belle bibliothèque, où se trouverait ma Ligeia. Une femme qui aurait les cheveux noirs, un visage fin et noble, et une peau blanche, immaculée.Les Carpathes. Jules Verne y a situé son roman « Le Château des Carpathes », texte étonnamment romantique dans l’œuvre du grand homme. Mais la contrée, lorsque je l’imagine, me semble l’être naturellement.Dans la Transylvanie de Dracula, les loups hantent les forêts, hurlent autour du burg mystérieux où vit Dracula. La nuit tombe tôt. Les feux de cheminée sont allumés par des domestiques invisibles. Des femmes errent dans le château. Elles sont belles et dangereuses, damnées. En s’ouvrant, les portes grincent, les bougies s’éteignent, soufflées par des ombres. Le ciel, du haut des meurtrières est éternellement orageux. Le ciel est violet et répand sur toutes les choses des teintes de corps décomposés. Et des voix chantent dans les couloirs, des voix de femmes, des chants qui ressemblent à ceux de Lili Boulanger et Debussy.Et il y a le comte, féroce conquérant venant du fond des temps, porteur d’un savoir immense, mort et pourtant vivant.C’est cette immortalité que je lui enviais. Je ne comprenais pas que les héros du roman fassent tout pour n’être pas vampirisés. Moi, je n’hésiterais pas, pensais-je : l’éternité pour lire, apprendre le savoir humain en son entier, découvrir non plus les seuls ensablés de France, mais aussi tous ceux qui, dans le monde, le sont peut-être à jamais, faute d’archéologue.La solitude du lieu, aussi, m’attirait. Au sein de la famille, le bruit, la promiscuité, étaient de rigueur. Je n’étais jamais tranquille. Je voulais partir là-bas, vers le silence, faire quelque chose. Je ne savais pas encore très bien quoi : astronome, astrophysicien, entomologiste. Être seul était la condition sine qua non pour réaliser les grandes choses que je projetais.Je n’ai pas eu mon château des Carpathes, mais j’ai mieux que cela : l’écriture, lieu bien plus solitaire encore que toutes les vallées perdues de la Roumanie. Quand je me mets à ma table, à la lampe, j’éprouve l’impression de fermer une lourde porte derrière moi, à l’abri de tout, protégé des autres et des orages. Je peux être n’importe où, avec n’importe qui, si j’écris, je suis loin, si loin.On me pardonnera ces digressions à la veille de mes vacances où je vais travailler à mon nouveau roman dont le titre provisoire est "Mécanique d'une passion". J'ai en effet remis à mon éditeur mon prochain roman "Une vie pour rien"... Et puis je lirai d'autres ensablés que je vous ferai découvrir en rentrant.Le site sera ré-ouvert en août pour une nouvelle année.