Dernier volet très attendu de la série policière située sur l'île suédoise d'Öland, ne déçoit pas et confirme le talent de Johan Theorin, au-delà même du genre dans lequel il évolue. C'est une lecture intense, imprégnée de mystère, pénétrante et étrange, inscrite dans un environnement insulaire particulier, extrêmement bien décrit au sein duquel s'enveloppe puis s'étoffe l'intrigue, dense et passionnante.
Comme lors des précédents romans (L'heure trouble, l'écho des morts, Le sang des pierres), l'île reste le personnage central de l'histoire, met en scène d'ailleurs peu de personnages policiers. Même si cela peut paraître invraisemblable, c'est un vieil homme de plus de 80 ans qui conduit l'enquête, explore des pistes et dénoue le drame. Ainsi Gerlöf et quelques autres personnages récurrents, Ölandais depuis toujours, ont une telle connaissance de l'île et de son histoire qu'ils paraissent d'emblée convaincants pour guider le lecteur dans les profondeurs des lieux. "Gerlöf avait 84 ans, John en aurait 80 dans un an. Ils avaient sillonné la Baltique sur des cotres pendant presque trois décennies, capitaine et second."
Sans tension, selon un rythme assez lent et de rares rebondissements ou fausses pistes, sans agitation excessive ou suspense infernal, l'histoire progresse doucement, s'enrichit de détails et d'intérêt au fur et à mesure des pages, se nourrit de la grande Histoire et captive en prenant son temps, en respectant le tempo ralenti du vieil homme. "Ses jambes semblaient bien lasses de le porter, et lui, était las d'être porté […] Il ne pouvait encore marcher que sur de courtes distances."
Si cela peut surprendre et dérouter le lecteur pressé, cette lenteur apparente permet une immersion intense et durable au cœur de la nature, exalte les odeurs maritimes, rend prégnants le vent, l'obscurité et la lumière, le chant des nombreux oiseaux, la chaleur de l'été… décuple les sensations et place le lecteur à l'intérieur même du récit, l'imprègne absolument pendant près de 500 pages.
Avec l'été qui s'installe, reviennent les touristes, en horde sur l'île. La tranquillité des insulaires est, le temps de quelques semaines, malmenée par l'agitation et le cri des enfants sur les plages, l'augmentation des voitures sur les petites routes, l'animation nocturne des estivants qui fréquentent notamment le complexe touristique Ölandic Resort, "un village de vacances artificiel, avec des rues droites et de vastes pelouses", tenu par la famille Kloss, vaste propriétaire terrien. Mais, autour de ce lieu de villégiature, un homme rôde, Le Revenant, inquiétant et brutal, venu sur l'île pour se venger d'une affaire ancienne, vieille de plus de 60 ans. Mais c'est sans compter sur la mémoire, l'intelligence, l'intuition et l'appareil auditif de Gerlöf qui lui permet "d'écouter en douce, en mode ragots".
En revisitant l'histoire souvent tragique de l'émigration du peuple suédois à la fin du XIXème et au début du XXème siècles, en s'intéressant aux purges staliniennes et à la Grande Terreur, Theorin s'empare de faits précis et réels pour construire son intrigue et lui donner une force inédite et authentique, sans jamais se dessaisir de l'histoire personnelle de son personnage principal Gerlöf, très attachante, proche et sensible, initiée depuis le 1er volet de la série.
Balloté des années 1930 à l'an 2000, le lecteur suit les deux histoires parallèles avec autant d'enthousiasme, apprécie l'alternance des chapitres qui finiront par se rejoindre, pénètre dans une nature de plus en plus hostile et inquiétante, annonciatrice de mort et de souffrance. Se laisse totalement envahir par l'atmosphère mélancolique.
Eprouvé mais plein d'enthousiasme pour une série qu'il quitte à regrets.
Si quelques allusions aux précédents romans parsèment le récit, Fin d'été peut être lu indépendamment mais l'envie de lire l'ensemble est inévitable.
A noter qu'une carte de l'île serait utile pour suivre avec davantage de précision encore les déplacements des personnages et la localisation des lieux principaux.