Au moment où le Président Obama, épaulé notamment par le soutien diplomatique de la France, envisage d'entrer une nouvelle fois en guerre sur un autre continent - après l'Irak et l'Afghanistan, c'est en Syrie qu'il s'agit à présent d'intervenir, comme toujours, pour éviter une guerre virtuelle plus redoutable encore que le conflit réel que le pays de l'Oncle Sam déclenche -, deux très bons albums documentaires viennent mettre en lumière la face cachée des conflits armés américains : le tribut payé par les soldats à leur retour au pays et par leurs familles.
Si le sujet traité est identique dans les deux projets, l'approche est pourtant bien différente. Ils méritent tous les deux qu'on les lise. Et qu'on en tire des leçons.
Chez Futuropolis, le récit vient compléter un documentaire réalisé par Olivier Morel, un Américain d'origine française, qui a choisi de s'installer aux USA et reçoit sa carte verte le même jour où son voisin se suicide au volant de son 4x4 dans le garage familial. D'un côté, l'auteur peut témoigner du rêve américain et de l'attrait qu'il peut encore avoir sur bien des migrants et, de l'autre, il est confronté au côté sombre de cette course effrénée à la réussite financière : le geste désespéré d'un père de famille pour qui, en apparence tout avait réussi. Parmi les nouveaux citoyens américains qui fêtent l'obtention de leur permis de séjour : un réfugié rwandais dont toute la famille a été massacrée au cours du génocide. Seul survivant d'une guerre sanglante, il perçoit l'Amérique de George Bush comme une terre d'espoir.
Ce n'est pas l'avis des vétérans du conflit irakien qu'Olivier Morel rencontre et filme pour son documentaire « L'âme en sang ». Ceux-là sont des revenants, hantés par des cauchemars de guerre, de déserts, de victimes. Ils sont sept, ils portent chacun les traumatismes de leur mission en territoire irakien. Cauchemars, hallucinations, dépression, alcoolisme, rien ne leur est épargné. Mal traités par l'État, maintenus à l'abri des médias une fois de retour au pays, ils se retrouvent bien souvent seuls pour affronter les démons que la guerre leur a infligés. L'album donne à voir ces êtres profondément meurtris, obligés de rafistoler leurs vies tant bien que mal.
Avant d'ouvrir le livre, on peut se demander ce qui a poussé le réalisateur du documentaire à se lancer dans une bande dessinée sur le même sujet. Une fois qu'on l'a refermée, on connaît la réponse. Le dessin de Maël, en faisant cohabiter le quotidien des vétérans, leurs récits (dessinés à l'encre rouge) et leurs hallucinations couleur sang, donne à voir l'invisible. Il permet au cauchemar de prendre corps au-delà des mots et de venir hanter à son tour le lecteur.
Il n'y a pas ici de réponse aux multiples interrogations, juste une forme idéale pour soulever une infinité de questions.
Revenants, sur Chapitre.com
Uriel, Samuel, Andrew
Dès le titre de l'album signé par Will Argunas: "Uriel, Samuel, Andrew" (Casterman, collection Ecritures), on comprend que les planches vont suivre l'histoire de ces trois GI qui se sont rencontrés sur le terrain, en pleine guerre d'Irak. Ils pensaient vivre là les pires moments de leur vie, ils n'imaginaient pas que le retour au pays serait bien plus terrible. Dans son récit en images, Argunas amène le lecteur à saisir la solitude, l'isolement même, dont les vétérans ont bien du mal à se défaire une fois de retour à la vie « normale ». On découvre ainsi les dégâts collatéraux d'un conflit qui tue bien plus de soldats par suicide une fois rentrés au pays que dans le feu de l'action. Dix-huit vétérans d'Irak et d'Afghanistan se donnent la mort chaque jour dans le pays, d'après les sources gouvernementales. Et il ne s'agit que du chiffre officiel.
De chapitre en chapitre, Will Argunas nous montre les vies qui se défont : celle d'une famille dont le père est mort dans le feu de l'action, celles des soldats rentrés indemnes en théorie et profondément meurtris. Face à la misère et aux problèmes psychologiques, seule la solidarité entre vétérans semble offrir une béquille à ces êtres effondrés de l'intérieur.
En misant sur la fiction, Argunas permet à ses fables d'aller plus loin que le documentaire : il pousse la spirale infernale jusqu'à son centre vertigineux. Même si chacun des personnages suit sa propre trajectoire et trouve ses propres réponses aux questions insolubles, on devine qu'il ne peut y avoir de « guérison » pour ceux qui ont subi le traumatisme de la guerre.
Là où le propos prend de la hauteur, c'est lorsque l'on se rappelle que ces soldats ne sont pas censés être les victimes du conflit : c'est bel et bien leur pays qui, en pleine connaissance de cause, a choisi de recruter massivement dans sa population des pauvres âmes à envoyer au front. Chacun est parti pour une raison différente, chacun rentre brisé par son expérience de guerre et chacun est condamné à vivre avec, ou à cesser de vivre.
Aux dernières nouvelles, l'attaque de la Syrie est repoussée de quelques semaines, en espérant que la voie diplomatique permette d'éviter la solution militaire. Une fois ces deux albums refermés, on ne se dit plus que la guerre est la pire des solutions, on est convaincu qu'au lieu de résoudre quoi que ce soit, elle est avant la source d'une infinité de problèmes nouveaux que personne, surtout pas les autorités militaires, ne souhaite assumer.
Uriel Samuel Andrew, sur Chapitre.com