Ivo Andric est, comme les Milorad Pavic et autres Danilo Kis de cette littérature yougoslave, peu connu et lu en France. Son Prix Nobel de littérature en 1981, le seul de cette contrée, en fait l’écrivain le plus célèbre de ces terres de conflit. Son œuvre la plus importante, Le pont sur la Drina, paru en 1945, raconte quatre siècles d’un pont en pierre à Višegrad, dans l’actuelle Bosnie-Herzégovine, de sa construction dans le XVIe siècle ottoman, jusqu'à la Première Guerre mondiale.
Né dans la ville Bosniaque de Travnik dans une famille croate catholique, avant de prendre la nationalité serbe au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est une synthèse de la difficile Yougoslavie, faite de religions et d'ethnies multiples, aujourd’hui morcelée en plusieurs États. À Belgrade durant la guerre, il s’y installe définitivement, et c’est la vie de ses habitants qu’il raconte dans ce recueil de nouvelles.
Des nouvelles écrites entre 1946 et 1951 : Avec les hommes, Le jour où…, Destructions, Le cas de Stevan Karajan, et Le journal de grand-père sont quasiment inconnues d’un grand nombre de lecteurs, et inédites en français. L’ouvrage est complété de la nouvelle qui s'étale sur la moitié du livre, Zeko, la plus belle, et de Portrait de famille et La porte fermée.
Durant la Seconde Guerre mondiale, dans la chambre de son modeste logement de la rue Prizrenska à Belgrade, il assiste à l'occupation nazie, les atrocités, les bombardements alliés, ou la guerre civile entre les royalistes et les communistes, remportée par ces derniers. Il ne raconte pas la grande Histoire, ni les grands acteurs des deux guerres mondiales, mais les gens du commun, avec leur bassesse souvent, leur égoïsme, leur malignité, leur faiblesse, et leur sursaut pour certains, leur rédemption finale.
Des personnages de femmes méchantes souvent, et d’hommes sans caractère. Des descriptions cruelles : « C’était une cervelle de moineau, aussi fidèle qu’un chien, superstitieuse, docile, bonne jusqu’à la déraison, et toujours souriante. » La débrouille encore, la peur. Une poétique du normy (équerre, règle).
« C’était donc ici que Zeko avait découvert et appris à observer la vie, la vie authentique que vivaient la majorité des gens, la vie qu’il avait commencé à oublier de même qu’elle s’était estompée, puis totalement éclipsée de la mémoire de ceux enfermés dans le cercle clos, privilégié de leurs intérêts. »