Ce nouveau roman (paru en 2008 en Espagne) est carrément glaçant et dérangeant, anxiogène de bout en bout. Accompagné d'une écriture mesurée, sans emphases, d'une tonalité neutre et distante en apparence, porté par un rythme mécanique presque terne, le récit oppresse, indispose, se fait rude, enferme le lecteur de manière progressive mais puissante dans un étau d'où il ne pourra s'échapper, contraint à la fois par une sorte de suspense haletant et par les réflexions obsessionnelles et étouffantes du personnage principal sur la peur et ses ravages. « Ce qui est peut- être le pire, sa peur est consciente, c'est celle de quelqu'un qui est capable de penser sa propre peur, de l'analyser et même de l'interroger, et qui pourtant craint. »
Quelque part dans une ville espagnole, un couple s'inquiète de la disparition renouvelée de sommes d'argent et objets de valeur au sein même de l'appartement. Les soupçons se portent vite sur la femme de ménage immigrée mais son renvoi ne met pas fin aux vols. En fait, leur fils, Pablo, jeune collégien est victime de racket et de sévices opérés par d'autres adolescents. Sara, la mère, réagit vivement, interpelle le directeur de l'établissement, réfléchit à le changer d'école, veut déposer plainte auprès de la police. Carlos, le père, plus mesuré et sceptique quant à l'efficacité des institutions, décide de faire face à la violence et d'assumer lui-même la protection de son fils. Le processus de destruction se met alors en place, l'équilibre familial se rompt. Bientôt lui-même victime d'une peur invalidante et destructrice, il se réfugie avec son fils dans une lâcheté et une soumission devant l'agresseur, Javier.
A travers la description des événements qui se succèdent, la peur et l'angoisse s'immiscent partout, dans les personnages, dans l'appartement, à l'école, dans les rues du quartier, au centre commercial de la ville sans qu'aucune forme d'autorité, de politique sécuritaire ne puissent empêcher son invasion au cœur de la population (ici les classes moyennes). « Le besoin de protection ne cesse jamais de croître et les réponses apportées à la peur ont pour effet de générer encore plus de peur, les mesures prises contre l'insécurité produisent plus de sentiment d'insécurité ».
Et Carlos, l'analyse en détail, avec une maîtrise remarquable, s'interroge sans cesse sur son fondement, ses multiples visages (de l'agresseur au pauvre, du Magrébin au Noir africain, au Roumain et Albanais jusqu' au policier et vigile…), ses différents lieux et représentations, amplifie le sentiment d'insécurité et de vulnérabilité, crée la violence, indispose le lecteur, comme dans l'impossibilité de réagir et de s'opposer à ce sentiment d'effroi qui l'enveloppe de plus en plus, le rend nerveux.
Le voilà pris dans un engrenage irréversible, entraîné par la folie du père. « Etre parent est une autre source d'effroi. » Une sorte d'huis-clos vite irrespirable, tant la peur est partout, dans le mot, le geste quotidien, dans le jour, la nuit, dedans, dehors. Sans répit, insidieuse, douloureuse et violente, elle agresse, se renouvelle sans faiblir. Epuise.
La peur a cessé d'être une alerte, ne protège plus. Elle a pris le dessus. Le lecteur peine à poursuivre dans cette ambiance presque diabolique et hystérique.