40 petits chapitres, 40 scènes resserrées autour du CHU de Tours et de la maison des parents de la même ville racontent les semaines d'attente, de souffrance, d'inquiétude et d'angoisse de l'écrivain-narrateur et de sa fille au chevet de Camille, épouse et mère, plongée dans le coma depuis une chute accidentelle. Dit comme cela, le récit peut sembler insoutenable et douloureux, noir et déprimant. Mais il ne l'est pas. Aussi étrange et improbable que cela puisse paraître, il rend compte de la réalité sans éprouver le lecteur (ou du moins d'une autre manière) ni le plonger dans les affres de l'émotion, de la tristesse attendues dans ce type d'histoire.
Ecrit à distance assurément, lorsque la vie a repris le dessus sur la mort sans séquelles épouvantables, ce texte est inattendu et surprenant, retient le lecteur, impressionné par la justesse, le souci de précision, d'attention aux détails portés à la fois sur le corps de la malade inerte ("il n'était pas une compagnie, à peine une présence") mais aussi et surtout sur ce qui l'environne, ce qui se déploie autour d'elle et du narrateur, ce qui permet d'échapper à la gravité du moment, à l'intolérable situation ; tout ce qui maintient en vie malgré le poids de la mort, apporte légèreté et espoir, sauve du gouffre. Avec une belle force, un courage étonnant.
"J'étais enfermé et le coma de Camille était le lieu de ma détention".
Ainsi sans pathos,, décrit avec détachement le service de réanimation où est emmenée sa femme, sa propre vie brutalement chamboulée et son déménagement provisoire à Tours, ses visites quotidiennes à l'hôpital dans la chambre 802, l'ennui qui traverse ses journées.
L'air de rien, le lecteur l'accompagne dans cette épreuve, mais dessaisi de l'angoisse, de la peur de mourir et de l'attente qui imprègnent les murs de la chambre. Et pourtant chaque détail évoqué (le ronronnement des machines autour de Camille, les voisins de chambre qui se réveillent, se succèdent, les œdèmes au cerveau, la craniectomie, le volet crânien placé en nourrice dans le ventre, la péritonite, le regard fuyant des médecins, les tristes soirées télé à la maison des parents, les promenades solitaires du narrateur chaque matin pour tenir, ne pas se laisser aller, etc.) est d'une brutalité hors du commun, devrait pouvoir arracher le lecteur à sa lecture mais, paradoxalement, et sans indécence, le récit l'enveloppe sans résistance.
Grâce à une écriture dénuée de tout effet dramatique, un vocabulaire assez neutre mais rigoureux et précis, l'auteur contient tout débordement émotionnel sans pour autant ôter au texte une vraie sensibilité. Sans insistance, avec concision, il livre son expérience personnelle de la mort mais lui offre une résonance beaucoup plus universelle.
A travers ce texte intimement respectueux de la douleur, extrêmement digne, Antoine Piazza exprime toute sa reconnaissance au corps médical et au personnel de service, sa bienveillance envers sa femme et avec une infinie pudeur, une douce réserve, sans s'auto apitoyer ni se désoler, il évoque le drame, comme en retrait, ne révèle jamais directement ses émotions et évite ainsi toute compassion du lecteur.
De l'attente insupportable comme de l'ennui interminable, il ne répond que par de brefs chapitres régis autour de lui et de Camille mais jamais directement posés sur lui et sur sa peine, pour ne pas importuner ou bien se protéger lui-même.
De l'implicite d'ailleurs naît le trouble du lecteur, presque gêné de ne pas savoir toujours observer plus de distance avec les épreuves de sa propre vie. Même s'il entend, à travers ces pages, le long et difficile cheminement de l'écrivain, même s'il a compris, par l'existence même de ce texte, que Camille serait sauvée, il demeure, malgré tout, interpellé par la force et la volonté du narrateur et au final, profondément bouleversé.