L’information est tombée fin de semaine dernière, en Belgique : parmi les quatorze personnalités accédant à la noblesse cette année, on trouvait non seulement Amélie Nothomb, mais aussi Jean Van Hamme, scénariste à succès de séries de BD qui ont durablement marqué le grand public, notamment Thorgal, XIII et Largo Winch. Le voilà donc bombardé Chevalier et, s’il accepte l’honneur, il devra s’acquitter des 3700 EUR de frais administratifs réclamés par l’Etat belge pour cet anoblissement. L’occasion est belle d’ouvrir les « Mémoires d’écriture » publiées par l’auteur il y a quelques semaines dans la collection Grand Angle, chez Bamboo.
C’est sans doute le plus surprenant dans ce livre : son éditeur. À la fois parce que la collection « Grand Angle » a pour vocation d’accueillir « la BD comme au cinéma » depuis sa création (au sein d’une maison d’édition avant tout spécialisée dans les albums d’humour formatés pour séduire des publics très ciblés, comme les titres le rappellent : les Rugbymen, les Velomaniacs, les Fonctionnaires) et que cet album est une autobiographie qui n’a pas grand-chose de cinématographique. Et surtout parce que Bamboo est un éditeur avec lequel Van Hamme n’a pas collaboré au long de sa longue carrière, alors qu’il a œuvré à doper les ventes de grosses maisons comme Le Lombard, Dupuis et Dargaud. Comme Jean Van Hamme a décidé de lever le pied côté scénario, sans doute ce projet permettait-il à Olivier Sulpice d’ajouter ce nom prestigieux au catalogue de sa – relativement – jeune maison d’édition (bientôt vingt ans, tout de même).
Mémoires en fin de parcours
Il y a douze ans, un livre d’entretien de Jean Van Hamme avec Frédéric Niffle, intitulé « Itinéraire d’un enfant doué » (Editions Niffle) avait permis de faire connaissance avec ce scénariste dont presque tous les projets ont rencontré un succès fulgurant. Il était à l’époque à l’apogée de sa carrière et en pleine activité ; les réponses et questions témoignaient de l’effervescence permanente de l’auteur, alliée à une grande maîtrise des effets et des enjeux. Le ton a changé pour ces mémoires : Jean Van Hamme sent que sa carrière est derrière lui, il ne parle pas projets, évoque à peine le futur (si ce n’est pour parler de ses futurs voyages), mais dresse le bilan, comme on établirait le livre des comptes à la fermeture d’une entreprise. Très ordonné, le scénariste retrace son parcours dans l’ordre chronologique, évoquant un projet puis l’autre, mettant en lumière principalement les personnes qui ont permis aux projets de voir le jour : éditeurs, dessinateurs et, parfois, amis. Sur la création des histoires en elles-mêmes, pas de révélation. Van Hamme n’ouvre pas les portes de sa cuisine intérieure.
De la galère au grand large
Ce qui reste le plus marquant, bien entendu, dans le parcours de Jean Van Hamme, c’est sa réorientation de carrière. Lui qui était destiné à une carrière commerciale, rapidement installé dans un siège à responsabilité chez MBLE, division internationale de Philips, en charge de l’Afrique puis de l’Orient, il remet sa démission à 27 ans pour vivre de sa plume, alors qu’il n’a pas encore connu le succès en bande dessinée. Il a bien signé le scénario d’Époxy pour Paul Cuvelier, des aventures de Michaël Logan et de Domino, mais ses planches n’ont pas encore décollé en dehors de la parution régulière dans le Journal de Tintin. Peu importe, Jean Van Hamme croit à son destin en BD plus qu’à tout le reste.
Et c’est ainsi qu’en 1976 naît Thorgal, sous le dessin flamboyant d’un artiste polonais, Grzegorz Rosinski. Le héros du Nord descendu des étoiles enchaînera une aventure par an pendant près de trois décennies. Suivront également les aventures de XIII l’amnésique dessinées par William Vance qui n’avait jamais mis les pieds aux États-Unis, puis, avec Philippe Francq, celles de Largo Winch, qui entraînent les lecteurs aux quatre coins du monde et permettront au scénariste de prendre pour décor les innombrables pays qu’il a visités, comme baroudeur dans sa jeunesse, comme directeur commercial de MBLE ensuite, puis en couple avec Huguette, sa compagne de presque toujours, depuis.
Et ce qu’il compte faire dans les prochaines années : voyager, se reposer.
Comme si tout était plié
Banal, me direz-vous. Ce n’est pas faux et c’est sans doute l’impression qui se dégage de ces mémoires trop lisses : on dirait que Van Hamme s’est enterré tout seul et rédige son éloge funèbre. Le ton est posé, mettant systématiquement en évidence le positif et les réussites, ne tirant que peu de leçons des errements et des déconvenues. N’expliquant pas vraiment pourquoi le cinéma ne lui a jamais ouvert ses portes malgré le « Diva » écrit pour Jean-Jacques Beineix en 1980, encore moins comment et dans quelles conditions il a décidé de passer la main sur toutes ses séries phares.
Alors que pour évoquer ses débuts dans l’ombre de Greg il n’hésite pas à parler arrière-cuisine, à dénoncer les auteurs qui ne l’ont pas crédité sur leurs planches, voire le montant qu’il touchait pour pondre les histoires, il n’aborde plus du tout ce sujet quand il s’agit de parler du passé récent. Comme si céder les rênes d’une série à succès était une simple question de cocher à recruter et pas un enjeu juridique et financier.
Autant le scénariste aime que Largo Winch parle pognon et vive dans un monde de chiffres, autant il est peu enclin à évoquer ces paramètres quand il s’agit d’histoire récente.
Dommage.