Par peur peut-être, pour conjurer le sort, je me rends compte que, depuis quelque temps, je lis surtout des morts, des peu illustres. Les connus ne m'intéressent plus. Ils vivent sans moi : que je les lise ou pas ne changera rien à leur destinée, ils brillent à jamais. Dans un roman de Jean Ray, les dieux anciens existent encore parce que des gens croient en eux, et disparaissent dès que ce n'est plus le cas. Ainsi sont les écrivains à la fragile postérité. Leur survie littéraire n'est plus assurée que par quelques lecteurs. La défection d'un lecteur peut être fatale: ils s'enfonceront un peu plus dans le sable, et plus aucun vent, un jour, ne parviendra à les faire reparaître. Ce sont les ensablés de la littérature. "Ensablés", un mot de ma femme pour désigner ces auteurs oubliés, et qu'on exhume, de temps à autre, à propos d'une brève actualité ou l'initiative d'un éditeur courageux. Bientôt, sans soutien, ils s'enfoncent à nouveau dans le sable.