Recueil de définitions imagées – une autre expression pour dire « recueil de poésie »–, l’Esplanade nous laisse pour le moins songeur et, pour le plus, sur notre faim…
Certes, la littérature n’est pas affaire de quantité, mais de qualité. Mais comme en haute gastronomie, aussi délicieux soit le plat servi, on finit toujours par regretter d’être venu le ventre vide.
Chaque poème est une « retouche » à un lieu, une personne, un objet ou une notion, comme la paix, le tabac, un cimetière ou un compagnon. Le tout ne manque pas de style et c’est fort heureux, l’auteur restant Daniel Boulanger, tout à la fois auteur de théâtre, écrivain et poète, dialoguiste et scénariste. Stylé, mais frugal : chaque page contient de 1 à 8 vers.
Quelques lignes de toute beauté comme en page 17, « retouche à l’adversaire » : « Le temps voit dans mes jours de vaines forteresses / qui tombent quand il fuit ». D’autres plus absconses comme en page 57, « retouche à l’extase » : « Son lit divin gardé par les remparts / mêle à l’éclat du cuivre la fraîcheur de l’eau ». D’autres, enfin, carrément déconcertantes, comme en page 106, « Retouche à la tentation » : « en prière apparente / et prosternés sur les tapis d’un vent filou / les nuages regardent en dessous / la mer plus qu’indécente ».
Lors d’une première lecture, on croit à une plaisanterie, à la livraison d’un livre anti-écologiste, gâchant beaucoup de papier pour si peu de mots. Sauf que voilà : l’auteur est ancien membre de l’académie Goncourt, écrivain consacré et l’on n’est pas assez présomptueux pour l’attaquer sur une première impression.
Alors une deuxième lecture… qui en entraîne malgré elle une troisième puis – oui, une quatrième. Et ces quelques lignes, seules, isolées dans la blancheur de la page prennent à chaque passage des yeux un peu plus de corps pour finir par pénétrer, puis emplir, l’esprit du lecteur…
On se retrouve alors assis sur l’esplanade de Daniel Boulanger, à regarder le monde par ses yeux ; et c’est beau ; mais ça n’excuse pas tout.
Car s’il faut voir au-delà des apparences, qu’un vers seul (voire une strophe) peut contenir toutes les richesses d’un poème, le dépouillement auquel il est contraint par son esseulement ne peut empêcher le lecteur de remettre en question la générosité même du poète. Maître Boulanger : donnez-nous en plus !
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