« Macaroni ! », c’est l’un des surnoms dont les Belges affublaient les immigrés italiens venus de leurs lointains villages sacrifier leurs poumons dans les mines du Plat Pays. Derrière chacun de ces ouvriers immigrés, pourtant, se cachait une histoire intime, un parcours douloureux, qui l’avait amené à faire le deuil de sa terre natale, à fuir la misère des campagnes, attiré par les affichettes annonçant les recrutements dans les charbonnages dans le nord de l’Europe.
Quelques décennies plus tard, ces multiples trajectoires individuelles ont tissé la toile de fond sur laquelle s’écrit l’histoire de toute une population. Si l’immigration italienne est une des composantes déterminantes de la population belge aujourd’hui, il n’est pas toujours simple de transmettre la mémoire de cet héritage aux plus jeunes générations.
« Macaroni ! », c’est l’histoire de Roméo, un gamin qui vient passer quelques jours chez le père de son père, son grand-père donc, Ottavio, qu’il n’aime guère, parce qu’il le trouve grincheux et sinistre. Mais, le lecteur s’en doute dès les premières pages, à force de se frotter l’un à l’autre, le gamin et le vieux vont être amenés à se découvrir. Et le petit garçon va entrevoir un pan de l’histoire familiale qu’il ignorait jusqu’alors : la maladie chronique de son grand-père, l’étrange rapport qu’il entretenait avec sa femme, sans doute plus proche de la rancœur que de l’amour.
À force de biner le potager, de rêvasser dans l’auge de Mussolini le cochon, de papoter dans la cuisine, des liens se nouent entre les deux personnages, même si la situation familiale du gamin ne se simplifie pas pour autant, puisqu’il découvre bientôt que le séjour chez Ottavio marque aussi un tournant dans sa propre histoire familiale.
Du scénario à la scène et du castelet aux cases
Au départ, « Macaroni ! » était une pièce de théâtre pour jeune public, créée par les marionnettes de la compagnie les Zygomars, en Belgique. Le spectacle tourne avec succès depuis plusieurs années. Vincent Zabus en est l’auteur et il a soumis ce projet à la compagnie, après avoir tenté d’écrire un scénario de BD sur le même sujet, sans que les planches n’aient été dessinées ni le contrat signé.
Des années plus tard, alors que le spectacle a connu une magnifique carrière et plusieurs centaines de représentations, que le texte a été publié, grâce au travail de mémoire théâtrale des éditions Lansman, le projet de BD n’est pas abandonné pour autant. Au contraire, le travail d’adaptation du scénario pour la scène a permis à l’auteur de jeter un regard neuf sur son projet. Le récit n’est pas le même que celui de la pièce de théâtre : il a mûri, il a maturé. Ce sont finalement les éditions Dupuis qui accueillent dans la collection Aire Libre cette histoire touchante d’immigration italienne en Belgique.
Après l’Afghanistan, les terrils
Il faut saluer la splendide mise en images de Thomas Campi. Il avait déjà collaboré avec Zabus sur plusieurs projets et l’envie de ressusciter cette histoire de mineur a surgi dans la foulée du biopic consacré par le tandem à Pascale Bourgaux sous le titre « Les larmes du seigneur afghan » chez le même éditeur. La mise en scène de « Macaroni ! » est très aérée, elle permet de larges cases où tantôt le petit jardin tantôt les chambres de la maison ouvrière se déploient en grand format.
La colorisation très réussie, qui semblent emprunter la palette de Nicolas de Crécy (ce qui n’est pas un mince compliment), s’appuie sur les tons chauds pour rendre aussi bien les couleurs du jardin que les replis des cauchemars dont le vieux est hanté : des trains, des ascenseurs, des vareuses... Le scénario laisse beaucoup de place à l’imagination du lecteur : ce n’est pas la moindre des réussites de l’illustration que de préserver ces respirations. Certes, on entrevoit beaucoup de choses, mais rien n’est jamais appuyé.
Grâce à l’habileté de Zabus et la maîtrise de Thomas Campi, l’histoire de « Macaroni ! », débordant de nostalgie et hantée par les drames du passé, est avant tout lumineuse et positive. Aux révélations fracassantes et aux secrets familiaux larmoyants dont trop de BD truffent leurs intrigues ces derniers temps, les auteurs ont préféré le récit d’une rencontre et d’une amitié naissante, à travers les gestes du potager et la parole partagée. Ces choix narratifs sont sans doute moins spectaculaires que d’autres, le résultat n’en est que plus juste et touchant. Il laisse toute la place à l’émotion et l’humanité des personnages, dans cette histoire qui réchauffe et illumine les lecteurs de tous âges.