Dans un pays où l'on pratique la charia islamique, comme au Yémen, la femme n'a pas le droit d'écouter de la musique, doit porter le voile dès huit ans, peut-être mariée dès neuf ans, se soumet à l'oppression sexuelle et à la domination masculines, n'existe plus en tant qu'être humain, annihilée dans toute tentative de féminité.
"La voix de la femme est indécence, il ne lui est pas licite de la faire entendre, pas plus que d'exhiber son visage".
La femme qui témoigne se souvient de sa jeunesse, raconte son adolescence entourée d'une sœur aînée, Loula, dont les aventures sexuelles effrénées et multiples, attisent son désir, d'un frère, Raqib, d'abord marxiste et rebelle avant de se transformer en intégriste religieux après son mariage, d'un père sévère et d'une mère faible et soumise, craintive.
A travers son récit, se dessine une société machiste et liberticide où l'interprétation de l'Islam réduit les femmes à des objets sexuels.
"Eduquer, ça voulait dire frapper".
De l'école primaire où l'éducation des jeunes filles se règle à coups de trombes d'eau au lycée islamique où la surveillante, munie d'une baguette, contrôle les tenues jusqu'aux chaussures, interdit de rire, puis à l'université islamique où les cheiks dispensent les cours à travers un écran de diffusion interne sans révéler leur visage ; les jeunes femmes "interdites" transgressent dès qu'elles le peuvent la charia qui façonne ainsi leur vie.
Les vidéos culturelles (pornographiques en fait) échangées sous l'abaya, les enregistrements audio de sa sœur sur ses multiples aventures initient la narratrice au charivari et autres plaisirs sexuels jusqu'à son mariage avec un ami de son frère très religieux, Abou Abdallah avec qui elle se sent prête désormais à vivre elle-même cette intimité conjugale.
Une nuit de noces inattendue va l'éloigner de l'université, la condamner à rester chez elle à écouter des cassettes du Coran, des leçons de religion sur les devoirs de la femme musulmane. "Tout ce qui me restait à faire, je l'ai compris ce jour-là, c'était de me taire, d'écouter et d'obéir." L'entraîner ensuite jusqu'en Afghanistan pour s'engager dans le Djihad.
Ce roman, porté par un rythme rapide, absolument tragique dans la description du sort réservé aux femmes dans ce pays, secoue le lecteur, si peu préparé à pénétrer dans cette société obscurantiste par le biais de la sexualité.
Sans pudeur, avec le risque de choquer (en tout cas de surprendre) raconte l'intimité des femmes, leurs désirs, fantasmes et frustrations et les interprétations paradoxales de l'Islam en matière de sexe, tantôt prudes, tantôt extrêmement érotiques, presque scabreuses.
Le regard peu flatteur, ridicule même et plutôt cynique qu'il porte sur la population masculine, vide de toute intelligence, à travers notamment le père de la narratrice, son frère, son mari, les différents amants de sa sœur ou même les professeurs d'université, les condamnent d'emblée, vire au grotesque et à la caricature, dénonce, certes avec courage l'hypocrisie d'une société yéménite mâle qui, sous couvert de la religion, asservit les femmes, légitime la violence intime mais au final, ce regard laisse le lecteur plus mal à l'aise que révolté.
Ce livre, assurément proche d'une réalité ne convainc pourtant pas de bout en bout. La transformation de la jeune fille, éprise de liberté puis missionnée pour détecter dans la presse tous les écrits contraires à la religion, stimulée ensuite par le désir de combat, semble si hâtive, construite sur trop peu de détails, qu'elle ne permet pas au lecteur d'adhérer complètement au récit. Il reste en retrait, perplexe, en quête de précisions et d'éléments qui ne viendront jamais.
Evasif également dans la description des personnages secondaires, le récit perd de sa force et de sa profondeur, de sa sincérité même et le lecteur ne sait plus exactement quel est l'objectif de l'auteur : dénonciation de l'intégrisme religieux, éveil des consciences, ou simple brûlot démagogique ?
Questionnez votre cœur alors mais surtout, à l'instar de l'héroïne, écoutez sans hésiter Oumm Kalsoum.