Après les œuvres de jeunesse publiées dans le premier volume, cette présente édition propose « Par les champs et par les grèves », récit d'un voyage en Bretagne ; une première version de La tentation de Saint-Antoine », jamais lue d'ordinaire et laissée de côté dès 1849 et le « Voyage en Orient ».
Trois œuvres révisées ou inédites, établies à l'aide de manuscrits, d'éditions ou de documents les plus sûrs, accompagnées de notes et notices émanant des meilleurs spécialistes, comme le sont toutes les œuvres publiées dans la renommée collection de la Pléiade.
Cette collection, créée en 1931 par un éditeur indépendant Jacques Schiffrin, intégrera les Editions Gallimard en 1933 pour devenir une collection de référence à la fois pour les chercheurs mais aussi pour les lecteurs passionnés (et plutôt fortunés, malgré tout).
Que l'on soit amateur ou non de l'œuvre de Flaubert, entreprendre, pour la 1ère fois, une lecture dans un exemplaire de cette collection, a quelque chose d'émouvant, revêt une valeur symbolique et relève presque de l'initiation et du privilège, il faut bien l'admettre.
Lire ainsi une œuvre imprimée su des pages de papier bible doux et glissant, qui ne se cornent pas, se feuillettent avec grâce et aisance, sans nul besoin de devoir s'y reprendre à plusieurs fois ni même d'humecter son doigt pour les faire tourner, ajoute au plaisir de lecture et à l'intérêt du texte classique.
Au savoir encyclopédique se mêle un savoir-faire, une technique presque artisanale, auxquels le lecteur s'attache également, conscient qu'il y a derrière chaque ouvrage, des heures de travail délicat pour une mise en fabrication rigoureuse et exigeante, unique et précieuse.
Un objet artistique que les libraires préservent souvent hors de portée du lecteur, reclus derrière une vitrine désespérément close, impossible à compulser, à la seule portée du regard. Objet de frustration pour le lecteur ordinaire ou même l'étudiant à qui il n'est pas destiné, visiblement.
Cruelle collection, devenue snob, un peu malgré elle car pour son éditeur jacques Schiffrin, « il s'agi(ssai)t de proposer, au format poche, les œuvres complètes des auteurs classiques en préservant un grand confort de lecture », d'où le petit format et la couverture de cuir souple (pleine peau et dorée à l'or fin tout de même !) et non pas d'établir une différence sociale entre les lecteurs.
Mais La Pléiade n'a, en effet, rien de très populaire et pourtant la lectrice ordinaire que je suis, peu habituée aux ouvrages d'art, sans connaissance approfondie des textes de Flaubert, juste sensible aux mots et aux livres, a simplement été touchée, lorsqu'elle a retiré, pour la 1ère fois, l'étui cartonné dans lequel l'ouvrage avait été glissé.
Avec une délicatesse inouïe, j'ai caressé l'ouvrage, sans oser l'ouvrir d'abord, juste impressionnée de posséder, un instant, un objet précieux. J'ai ensuite tourné les pages, une à une, puis plus rapidement, exerçant ça et là, de petites pauses, grâce au marque-page, un soyeux liseré vert. J'ai vu défiler alors l'écrivain sous mes yeux, les chercheurs et autres érudits de la littérature et tous les fabricants de ce livre. Il est soudain devenu lourd, encore plus lourd, chargé d'histoire, de sentiments et de technicité. Une alchimie heureuse, quoi qu'on puisse penser de ce genre d'ouvrages de luxe.
Ni esthète, ni collectionneuse, ni snob ni même riche ou érudite, j'ai pourtant été prise par le livre, excitée à l'idée d'avoir la liberté d'y pénétrer, d'y déposer mes doigts et mon regard, mon attention sur l'ensemble d'abord, puis sur la page, puis sur les mots. Je me suis sentie soudain irrésistiblement attirée par les textes de Flaubert, pourtant abandonnés depuis la fin de ma scolarité.
Sans le prévoir, je me suis alors assise plus longuement, ai recommencé à tourner les pages et me suis arrêtée à celle numérotée 593, sans contrainte si ce n'est d'assouvir une curiosité. Le voyage ne faisait que commencer. D'Egypte au Liban, de la Grèce jusqu'en Italie, je me suis promenée avec un doux bonheur dans ces contrées étrangères ; légère, si vite partie ailleurs, sans effort, sauf celui peut être de devoir adapter ma vue à l'écriture si finement typographiée, « mise sous styles » mais malheureusement petite.
Certes, ce n'est pas un ouvrage que l'on maltraite, sur lequel on souligne les phrases qui plaisent, où l'on annote des idées, une réflexion. Point de glose donc ni de pages cornées pour revenir, le cas échéant et facilement, sur un passage repéré. Le respect s'impose, la distance aussi. Presque froid entre mes mains, sans fantaisie. Un livre difficile à prêter alors, à partager. Prestigieux mais sérieux de forme. Après un moment, me voilà presque étrangère à la lecture, pas vraiment à ma place.
Avec le temps, naît l'avantage (financier), pour l'amateur de littérature, de pouvoir posséder enfin l'objet de référence si convoité dans sa jeunesse. Au risque peut être de voir s'estomper, si l'usage devenait trop régulier, une part de rêve…
Mais peu importe, au final le prix sera toujours garant d'une certaine modération et l'austérité imposante de la collection, comme si elle était, malgré tout, encore réservée à un lectorat d'initiés, continuera d'intimider, au final. C'est ainsi.
Aussi, vais-je retourner, sans frustration et avec joie vers des formats plus simples et familiers, adaptés à ma lecture-plaisir mais cependant heureuse d'avoir, le temps d'un ouvrage, essayé d'autres usages.
Cette présente édition est publiée sous la direction de Claudine Gothot-Mersch, avec la collaboration de Jeanne Bem, Stéphanie Dord-Crouslé, Yvan Leclerc, Guy Sagnes et Gisèle Séginger.
Egalement disponible, le tome III (1851-1862) qui contient notamment « Pierrot au sérail », « La tentation de Saint-Antoine » (version 1856), « Madame Bovary » et « Salammbô ».