A quoi tient l'aimantation que provoque chaque roman ? Au prodige d'un équilibre parfait entre l'écoute de soi et la captation du monde, entre l'humour et la gravité, entre l'anecdotique et l'essentiel. Akli Tadjer a comme un sixième sens qui lui permet de saisir des «flashs » de situations banales qu'il transforme illico en petites comédies de mœurs détonantes.
On retrouve ainsi avec délectation son humour joyeux, capable d'arracher des gloussements au lecteur ; et son plaisir des digressions, véritables moteurs du texte.
C'est l'histoire d'Adèle, une jeune fille complexée. Elle a grandi auprès d'une sœur solaire qui attirait tous les regards et, exerce, à trente ans, le métier de croque-mort. Adèle mène une vie plutôt solitaire, jusqu'au jour où, à la fête de ses trente ans, elle rencontre Léo, un bel homme à la peau d'ébène qui a, aux yeux d'Adèle, un avantage non négligeable : il est aveugle. Le grain de la peau, le parfum de la mer, la musique, le son d'une voix : les perceptions de la beauté de Léo sont les mêmes que les nôtres. Mais parce qu'il appréhende le monde au-delà des apparences, le personnage principal va nous inviter à regarder en profondeur.
Akli Tadjer nous ouvre un chemin dans ce monde inconnu. L'imaginaire s'avère infiniment plus riche sans la vue. Il dévoile des sensibilités, des perceptions et des événements sincères. L'auteur a pour idée de souligner la permanence et l'ironie d'une situation, avec la volonté de délivrer et de mettre en exergue l'importance de tous les sens. Qu'est-ce que la beauté pour nous ? La question, dans ce texte, reste intime et la réponse, multiple, insaisissable.
Voilà donc un livre drôle et alerte, qui réussit l'exploit d'aborder de front des sujets d'ordinaire peu propices à l'humour, sans jamais céder aux sirènes du pathos ni aux émotions faciles.
Les Thermes du Paradis débute au rythme d'une comédie enlevée, où l'on retrouve intact le style propre à Akli Tadjer : son sens du timing, la précision clinique de son décor et le raffinement de son écriture qui suffit en quelques traits à camper une galerie de personnages fantasques. C'est la grande force de l'auteur, tenir cet équilibre fragile entre le drame et son antidote, savoir par endroits réenchanter sa tragédie sans rien sacrifier de son réalisme.
Avec l'humble clarté de son écriture, à la fois indulgente et intransigeante, simple et fourmillante, son livre insiste sur les sensations, terreaux d'une certaine vérité. Léo est masseur, et de longues scènes décrivent l'acte du massage. On s'y croirait.
Et plutôt que de jouer en continu sur cette opposition binaire, la voyante et l'aveugle, l'écrivain s'intéresse à ce qui rapproche ces deux personnes. La peur de ne pas séduire, les sentiments de la chair, le noir qui les entoure, l'obscurité et la mort, et surtout une certaine solitude : le livre se laisse peu à peu déborder par ces affects et épouse une forme de profondeur inattendue, d'autant plus élégante qu'elle n'empêche jamais le rire.
On retiendra surtout le très beau mouvement optimiste du livre, propre à Akli Tadjer, qui fait du bien et qui abandonne ses personnages à un horizon toujours apaisé.