En 2007 sortait Le Petit garçon en pyjama rayé, traduit par Catherine Gibert, l’histoire de Bruno, jeune allemand dont le père était responsable du camp d'Auschwitz. Près de 150.000 exemplaires vendus en France, dont 130.000 en version Folio Junior. John Boyne reprend l’histoire de la famille Fernsby. Le fils est mort dans le camp, « L’Autre endroit » comme ils disaient avec sa sœur Gretel : il s’était procuré un pyjama rayé et sur les encouragements de sa sœur, avait rejoint son ami, Schmuel…
Nous sommes en 1946, quelque trois ans après le drame : le père a été pendu, mère et fille ont fui la Pologne pour se réfugier à Paris et se fondre dans la population en gommant leur accent allemand, synonyme d’infamie en ces temps. Tombant dans un terrible traquenard, mère et fille seront tondues et mutilées — la première saisissant l’occasion de plonger plus encore dans l’alcool… Pour Gretel, un seul échappatoire : fuir, loin. L’Australie sera parfaite.
2022, dans un quartier aisé de Londres, vit une dame de 91 ans, dont l’appartement est situé dans un très bel immeuble. Veuve, elle n’a plus que son fils — et son flot de reproches, alors qu’il arrive à son quatrième mariage. Suite au décès de son voisin, à l’étage d’en dessous, de nouveaux emménagent, menaçant de rompre la tranquillité de Gretel…
Tétanisée à l’idée qu’on apprend qui elle est, perdue entre défiance et culpabilité, la vieille dame est demeurée cette adolescente de 12 ans, partie avec le poids des atrocités qu’a commises son père. Est-on responsable des crimes par filiation, au sortir de la Seconde Guerre mondiale ? Combien de temps avant qu’une Allemande ne redevienne fréquentable ?
Deux époques se répondent constamment, miroir d’une vie traversée comme une torture : écartelée, Gretel condamne les exactions nazies, autant qu’elle est capable d’être fascinée. Excitation, dégoût se succèdent en cette enfant embrigadée dans les jeunesses hitlériennes, dont le père était, somme toute, si gentil avec sa famille. Elle n’aura vécu que pour payer autant que faire payer, rongée par l’impuissance de l’enfance de même que par la noirceur de certains pans de sa personnalité.
La vie de fuite illustre parfaitement cette interrogation éternelle qu’aura chantée Goldman : « Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens / Si j’avais été Allemand ? »
Et le tour de force réside en ce que l’ouvrage ne verse pas dans la tristesse sans tristesse, le pathos ou le jugement. Cette existence de l’après-guerre pour les familles des bourreaux, celles qui ignoraient parce que trop jeunes, et auront enduré l’impossible réconciliation.
Une saga familiale où la narration l’emporte si bien que l’on sourit avec Gretel, drôle et parfois mordante de cynisme. Aux moments de bonheur qui répondent à l’oubli, succèdent de terribles instants de peur, tant revenir au réel est douloureux…
Un splendide roman, aussi touchant que nuancé.