Sous la forme d'une longue lettre, Charlotte s'adresse au juge qui tarde à la recevoir. Lors d'une journée, comme une vaste plaidoirie (écrite), elle relate les faits, défend sa cause, justifie son acte, rompt cet immense silence qui l'a accompagnée pendant dix années et empêchée de fuir l'enfer.
Victime d'un père violent, cruel et pervers et d'une mère soumise et faible (« elle encaisse, elle rase les murs, en attendant la crise »), elle a vécu enfermée dans une cave de la maison, violentée et maltraitée jusqu'à la délivrance, qu'elle ne doit qu'à elle-même. A 17 ans, elle a tué son père d'un coup de couteau et a pu enfin commencé à vivre. « Vous devez comprendre mon choix de tuer pour revenir à la vie. »
histoire de ce roman est donc un choc, une épreuve que nous livre une jeune femme de 27 ans, oppression douloureuse. Comme une nécessité urgente.
Il faut comprendre et en finir avec l'horreur, vite. Sortir du livre avec l'espoir (ténu ?) qu'une reconstruction est toujours possible lorsque l'on a seulement 17 ans. Même si, ici, il n'y a pas de tilleuls verts sur la promenade… « Je me flatte de ne pas savoir composer avec les faiblesses qui font ma vie. Je me flatte de me vautrer dans ma souffrance et de ne pas tenter de lui échapper. »
Une lettre martelée par les années, énumérées chapitre après chapitre, dont chacune cingle et marque au fer rouge l'insoutenable durée, («J'ai 7 ans, monsieur le juge […] J'ai 10 ans […] j'ai 11 ans […] J'ai 11 ans et demi… ») comme une mélopée lancinante mais brutale, presque asphyxiante pour le lecteur.
En effet chaque chapitre raconte l'inénarrable, décrit de façon mécanique et glaciale, quasi clinique, l'attitude tyrannique d'un père, en apparence estimé et reconnu dans son travail. Il est un vrai bourreau chez lui, calculateur et féroce, assez sadique pour enfermer et enchaîner sa fille dans la cave pendant dix années, sous le regard muet et effrayé de la mère, « la peau aussi livide que sa culpabilité ».
Dix années qui vont murer Charlotte dans le silence et la honte, l'impossibilité de la fuite ou de la dénonciation, la prostrer dans l'attente que quelqu'un finisse par déceler l'origine de ses souffrances. « J'aimerais que les gens découvrent seuls la vérité, sans que j'aie besoin de désigner moi-même celui à qui, malgré tout je dois la vie. » En vain. Du professeur, au psychologue, en passant par l'assistante sociale ou les grands-parents, les rares amis, nul ne semble pouvoir (ou vouloir) lire les signes de détresse que son corps envoie.
Il lui faudra alors compter sur elle, rien que sur elle pour se sortir de ce calvaire et retrouver la liberté, à peine acquise qu'elle doit à présent la défendre devant la justice. Charlotte est vivante mais à quel prix ? Pour quelle vie maintenant ? Avec qui ? Autant d'interrogations qui accompagnent sa confession, alimentent sa souffrance, augmentent la douleur du lecteur, seul témoin finalement de ces moments insoutenables.
Une écriture terriblement puissante, dont chaque mot éprouve, sans larmes mais avec fureur et violence ; un rythme tout en tension, sans relâche, qui frappe au cœur et au corps tout entier, intensément dévastateur mais dont on ne peut s'arracher pourtant, implacable, âprement juste, porteur de toute la légitimité de la narratrice. « Je suis ce que mon crime a fait de moi : vivante. »