aux Éditions de La Différence
Sur tous les problèmes de fond qui secouent durement la planète et hypothèquent l'avenir des sociétés contemporaines, François Hollande et son gouvernement se sont enfermés dans les mêmes arguties, les mêmes inconséquences, la même inintelligence que celles qui avaient caractérisé le précédent quinquennat.
N'ont-ils pas récemment fait voter par le Parlement, menaçant même de sanctionner ceux qui, dans leurs rangs, renâclaient à ce reniement, un traité et un budget européens qu'ils avaient, et avec quelle sévérité, rejetés pendant la campagne de l'élection présidentielle ?
N'essaient-ils pas de justifier leur volte-face en invoquant les substantielles modifications qu'ils auraient obtenues par rapport au traité initial alors que celles-ci ne sont pourtant, à l'analyse, que des leurres dérisoires ?
Ce traité, et le budget qui l'accompagne, tuent en effet dans l'œuf le concept lui-même, et les nécessaires ressources, d'un processus de croissance qui, au cours de l'élection présidentielle et des élections législatives qui ont suivi, servait pourtant de permanente antienne aux responsables et aux militants du parti socialiste.
C'est une duperie et une guignolade que d'espérer développer une croissance exigeant, par nature et par définition, une politique résolument orientée vers de productifs et considérables investissements, en se gardant d'attaquer frontalement l'existence des paradis fiscaux dans lesquels l'oligarchie, les organismes et les entreprises ont hébergé leur richesse et en infligeant, dans le même temps, une drastique ponction fiscale aux populations ouvrières et aux classes moyennes qui réunissent ensemble – beaucoup plus que des multinationales taraudées et dominées par des actionnaires avides de dividendes – la capacité d'imaginer, de fabriquer, de croiser et de conclure les transactions de l'échange et de l'équilibre.
Le vote de ce traité et de ce budget est non seulement déshonorant, il est ridicule.
Par mesure de diversion, ils ont inventé, mis en relief et en accusation, en s'appuyant sur le tohu-bohu habituel de leurs médias, un terrorisme franco-français soupçonné d'être subventionné et manipulé par l'islamisme, en se servant, notamment, d'une affaire, l'affaire Merah, dont ils savent pourtant que, un jour, inexorablement, l'histoire éclairera les ambiguïtés et les ombres de l'orchestration. Auraient-ils oublié avoir été élus pour affronter un autre terrorisme, de loin le plus meurtrier, celui dispersé sur la planète entière par un capitalisme dont les actuelles modalités de fonctionnement sont devenues intolérables aux yeux de quiconque s'efforce de conserver « une certaine idée » de la cité, de la place de l'homme dans la cité, c'est-à-dire du politique.
Enfin, n'ont-ils pas apporté, dans les quelques jours qui ont suivi leur élection, la preuve d'un esprit de caste et de chapelle semblable à celui de leurs prédécesseurs, en truffant les ministères, et l'ensemble des services publics, d'apparatchiks sortis des mêmes grandes écoles que celles où ils ont tissé leur propre toile d'araignée, transformées, chacune d'elles, en centre de formation de trafiquants d'influence débarrassés de toute interrogation sur leur légitimité à servir le système en confondant souvent compromis et compromission.
Comment, dès lors, auraient-ils pu éviter de commettre une autre faute aussi impardonnable que les premières, dont elle n'est d'ailleurs que la résultante moins perceptible au regard ?
Pendant la campagne de l'élection présidentielle, un frémissement avait réveillé le pays et secoué la honte de lui-même que lui avait injecté les cinq ans au cours desquels la voix de la France avait été tellement dégradée qu'elle avait perdu toute crédibilité. Jean-Luc Mélenchon avait réinventé le souffle qui traverse les rassemblements populaires quand s'exprime enfin la volonté de refuser une résignation que, pour se déculpabiliser, l'on s'efforçait de croire inéluctable. François Hollande lui-même, dans son discours du Bourget, avait laissé espérer qu'il pourrait peut-être, dans la situation de décrépitude dans laquelle s'enlisaient la France et l'Europe, se métamorphoser en homme d'État. Une perspective allait-elle s'offrir qui motiverait et mobiliserait ?
Nicolas Sarkozy et François Hollande
Globovision (CC BY-NC 2.0)
Qu'en reste-t-il aujourd'hui que, de nouveau, le grain pourrit sous la paille de l'ivraie ? Un peuple atone, désorienté, à ce point désenchanté que son appétit de vivre, constamment bafoué, se transforme en une agressivité qui, ne trouvant aucun exutoire, est condamnée à s'emparer de la rue si elle veut, un jour, atteindre à une efficience politique. Des classes moyennes qui s'emploient à désamorcer leur ennui dans des temps de loisirs de plus en plus rapprochés, dans des pays de plus en plus lointains. L'illusion de changer de peau en la transportant dans ses bagages ; le tourisme de masse, comme les spectacles sportifs sous toutes leurs formes, devenus les nouveaux instruments de manipulation et de propagation du système.
Cet état de fait, en quoi est-il différent de celui qui, depuis si longtemps vécu, est devenu un état de nature ?
En réalité, les gouvernements qui se sont succédé en Europe, notamment en France, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les cercles d'influence qu'ils ont mis en place, ou qu'ils ont tolérés, derrière lesquelles ils se sont abrités ou auxquels ils se sont soumis, quelle que soit la couleur politicienne affichée, ont été et demeurent les pourvoyeurs de l'infection. Tous ont laissé naître, croître et se développer un monstre, le capitalisme à dictature financière, à qui ils ont remis les clés de la maison et qui leur a échappé pour ne plus obéir qu'à ses propres finalités. D'où le terrorisme qui pénètre aujourd'hui la plus petite parcelle de vie sur la planète entière, qui dissémine partout dans le monde les boutons d'une fièvre purulente, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, ici la précarité, le chômage, l'exclusion, la xénophobie, là une effroyable misère, la colère, une violence qui, un jour relativement proche, submergera l'Occident.
Aujourd'hui, en France, quelle différence déceler entre la droite, y compris un centre hypothétique et une extrême droite qui vocifère ce que « les modérés » pensent depuis toujours et qu'ils taisent de moins en moins, et un ensemble social-démocrate qui connaît son impuissance mais l'accepte, sinon qu'ils composent ensemble le ventre mou d'un pays silencieux ou mal orienté sur tous les grands sujets de société ?
Mais pourquoi s'en étonner ?
Puisque le monstre s'est emparé de toutes les manettes et que les hommes et leurs organisations ne sont plus que les courroies de transmission de sa volonté, quand il faut, parmi les différentes configurations d'images et de symboles, sélectionner celles qui lui apparaissent comme devant être les moins controversées, les mieux tolérées par les catégories sociales qui vont souffrir le plus directement des mesures qu'il va devoir imposer pour que son pouvoir perdure, il choisit, c'est là son intelligence mécanique, d'exposer en tête de proue les hommes ou les organisations dont il sait que leurs discours vont pouvoir anesthésier la sensibilité et la révolte de ceux qui vont être frappés. Le mirage majoritaire prend constamment au piège la social-démocratie puisque celle-ci a la vaniteuse naïveté de croire, et ses électeurs avec elle mais les yeux de ceux-ci se dessillent rapidement, que le scrutin lui confie les allées du pouvoir alors que le système ne lui en abandonne que temporairement les fantasmes et les colifichets qui l'encerclent immédiatement de filets pernicieux.
Et, aussitôt, ces hommes et ces organisations, sous la mâchoire implacable du système qui les dévore, au lieu de crier leur impuissance et de l'expliquer à leur peuple qui saurait les entendre et leur permettrait de retrouver la route, choisissent de se convaincre eux-mêmes que c'est leur devoir d'état que de « composer », c'est-à-dire de se trahir eux-mêmes en trahissant ceux qui leur ont confié leurs espoirs de justice et d'efficacité.
À l'exception, depuis près de soixante-dix ans dans le paysage politique français, d'un seul chef de gouvernement, Pierre Mendès-France. Le processus de son investiture comme Président du conseil des ministres, le 17 juin 1954, et de son renvoi, le 5 février 1955, est particulièrement édifiant. Ceux-là mêmes qui avaient, pendant sept ans, embourbé la France dans la débâcle indochinoise, le placèrent à la tête du gouvernement pour qu'il mette fin à cette guerre absurde, ce qu'il obtint le 20 juillet 1954 après de très dures négociations. Et ils chantèrent ses louanges pendant les quelques semaines qui suivirent. Mais comment lui pardonner la politique qu'il devait ensuite conduire à contre-courant des forces économiques et financières qui dominaient alors le pays ? L'Assemblée nationale le liquida donc sept mois et dix-sept jours plus tard, après qu'il eut réalisé « un coup d'état » (comme il l'a dit lui-même) en offrant à la Tunisie, le 31 juillet 1954 à Carthage, le processus d'autonomie interne qui devait la conduire à l'indépendance. Il se prononça ensuite contre le traité de la Communauté européenne de défense (CED) dont il pensait qu'il était susceptible de permettre à l'Allemagne de redevenir à terme la première puissance européenne, ce qu'il avait raison de redouter comme on peut le constater, aujourd'hui qu'elle a retrouvé ses démons hégémoniques. Enfin, erreur inadmissible, il s'attaqua aux lobbies de l'alcool et des grands propriétaires terriens de l'Algérie française.
C'est une indécence inacceptable de la part du gouvernement et du parti socialiste actuels que de se réclamer quelquefois de lui.
Claude Mineraud
Président des Éditions de la Différence
et auteur du livre, paru en librairie le 15/09/2011,
Un terrorisme planétaire, le capitalisme financier