Le vice-président de la banque d'affaires Lazard, Matthieu Pigasse, a racheté Les Inrockuptibles, a annoncé vendredi le magazine culturel. Le Figaro a rapporté dans un entretien aujourd'hui que celui-ci détiendrait désormais 80 % du capital de la société éditrice, Les Éditions indépendantes. La transaction devrait être définitive le 17 août.
Et le grand banquier médiatique compte bien s'installer et être l'homme de la rupture rédactionnelle. Le nouveau propriétaire des Inrocks compte y développer l'aspect société, politique et investigation. Mais il compte aussi il modifier le ton : « Notre ambition est de faire un news magazine générationnel rebelle à l'ordre établi. Il y a quinze ans, le mensuel musical est devenu un hebdomadaire culturel. Nous préparons sa deuxième métamorphose. Il y a une attente qui n'est pas satisfaite par les magazines actuels, où une forme de complaisance s'est développée à l'égard des pouvoirs. Nous allons proposer un regard différent, subversif, libre, indépendant », déclarait-il dans son entretien au Figaro.
Des propos qui nous rappellent le dialogue paradoxal de l'oeuvre de fiction du poète Fernando Pessoa, Le banquier anarchiste. Plus modéré néanmoins, le banquier Matthieu Pigasse est réputé pour être un homme « de gauche », plutôt favorable aux socio-démocrates. Celui-ci a par exemple commencé dans les cabinets d'un Fabius ou d'un Strauss-Khan, ou encore a conseillé Ségolène Royal aux présidentielles de 2007.
Cet engagement direct de Matthieu Pigasse auprès de certains hommes politiques fait craindre à certains que les nouveaux Inrocks deviennent ce que L'Express de Jean-Jacques Servan Schreiber était à Mendès-France. Mais dans le personnel du magazine, on reste vigilant quant à l'indépendance rédactionnelle, tout en étant plutôt confiants. Comme l'explique Laurent Girardot, délégué du personnel des Inrocks contacté par ActuaLitté, « on nous a assuré que Christian Fevret, qui reste directeur de la rédaction, se porterait garant de l'indépendance rédactionnelle du magazine. M. Pigasse s'investira de fait dans le journal, mais il ne devrait pas pouvoir aller à l'encontre de la volonté des journalistes et de Christian Fevret ».
Une affaire de famille
Si c'est la première fois que Matthieu Pigasse réalise son rêve, posséder son propre journal, c'est loin d'être sa première expérience dans les médias. En 2005, il a participé à la vente de Libération à Édouard de Rothchild, ou encore à celle de Newsweb à Lagardère. En 2007, il aurait bien aimé succéder à Alain Minc à la direction du conseil de surveillance du Monde. Il est par ailleurs donateur de fonds à Rue89.
La petite famille Pigasse est elle-même une habituée de la profession. L'oncle, Jean-Paul Pigasse a été directeur de la rédaction de L'Express, sa soeur ainée Virginie est passée par Carbone 14 et Globe, son père Jean-Daniel a été directeur de la Manche Libre et son frère Nicolas est cofondateur du magazine people très peu subversif, Public. Sans compter le grand-père Albert Pigasse, créateur de la collection de romans policiers, Le Masque.
Plus de moyens et plus de personnel
Celui qui a été actionnaire principal jusqu'à présent, Jean-Daniel Camus, devrait conserver 18 % du capital, jusqu'à sa sortie définitive dans un délai de trois ans. Le cofondateur et directeur de la rédaction, Christian Fevret, conservera 2 % du capital.
Et le banquier n'arrive pas tout seul aux Inrocks pour y faire la révolution. Bernard Zekri est nommé directeur délégué de la rédaction. L'ancien de Canal + et de i-Télé, passé grand reporter à Actuel, devrait venir renforcer la rédaction en août. Et il ne devrait pas être la seule nouvelle recrue. C'est ce que nous explique le délégué du personnel Laurent Girardot : « Pour le nouveau journal, il va y avoir plus de moyens, mais aussi plus de moyens humains, avec des embauches ». Dans le contexte de la presse écrite, c'est donc plutôt une bonne nouvelle.
Le projet de nouveau journal est donc plutôt bien reçu par l'ensemble des salariés et des journalistes. Laurent Girardot témoigne pour ActuaLitté : « Le projet nous semble intéressant, et la façon dont cela se passe, plutôt positive. On reste évidemment vigilant, car il va y avoir des changements majeurs. Mais on le ressent plutôt comme une bonne nouvelle, et on attend de voir comment cela va se développer ». Les équipes commencent donc à travailler à ce nouveau journal, qui pourrait sortir en kiosque en début d'année prochaine, aux alentours de janvier ou mars en fonction de l'avancée des travaux.