Il en est de certains livres comme de certains gâteaux : à la première bouchée, on découvre un goût nouveau, à la deuxième page, on se sent happé par le désir d'en savoir davantage, quand on avoisine la moitié, on le dévore à grandes dents puis quand on voit arriver les dernières pages, on l'économise miette à miette pour faire durer le plaisir plus longtemps. Surtout ne pas arriver au point final. Surtout garder encore une morceau pour une faim à venir. Surtout ne pas échapper à la magie.
Nashville Chrome a été, pour moi, de cette trempe, de cette douceur.
D'abord, c'est une découverte. Celle d'un trio des années cinquante, contemporain d'Elvis qui les a rejoints, côtoyés puis dépassés. Qui peut imaginer aujourd'hui la discographie et les succès des Browns (voir sur Wikipédia : la liste est impressionnante) à une époque où Elvis était encore loin du King.
C'est la magie de Rick BASS d'avoir fait renaître ce trio qui a planté ses racines dans la scierie de Floyd, leur père et la cuisine de Birdie, leur mère. Dans le Sud de l'Arkansas, les Browns, à cheval sur les années 50 et 60, vont enchaîner les tubes, vont voir leurs noms monter tout en haut de l'affiche, plus haut qu'Elvis avant que ce dernier ne pulvérise tout autour de lui, y compris son amitié avec les Browns, y compris la liaison qu'il a longtemps entretenue avec Bonnie, la plus jeune Brown du trio.
Jim Ed, Bonnie et Maxine, l'aînée et la locomotive du trio, vont courir les concerts et les succès avec un ensemble vocal d'une qualité exceptionnelle et ainsi ouvrir la voie (et la voix) à tant d'autres, de la country à la pop !
Qu'on ne s'y trompe pas, ce livre n'est pas un album mais il aurait tout aussi bien pu l'être tant il chante une époque qui a fait exploser, autour et après eux, tous ces talents que les Browns ont côtoyé quand ils ne les ont pas inspirés : Presley, bien sûr mais aussi les Beatles à leurs débuts, ou Johnny Cash sur les routes qui mènent à Nashville.
Rick BASS nous conte une époque et une épopée enthousiasmante avec des bonheurs immenses et des gouffres de chagrin ou de désespoir. Deux sœurs et un frère ont remué des foules qui les ont finalement oubliés. Trois destins liés par un son magnifique (allez seulement un instant sur YouTube et écoutez les chanter « The Three Bells » qui fit le succès d'Edith Piaf ou des Compagnons de la Chanson, c'est immense !) qui ont certainement raté la dernière marche que d'autres ont gravie pour atteindre le firmament. Trois vies unies dans une musicalité sublime et dispersées par des aspirations devenant progressivement dissemblables.
L'écriture, le rythme ou le son de ce livre sont un délice au même titre que la musique des Browns dont j'ai fait la découverte en parallèle à ma lecture ayant pu me procurer la compilation « A Country Music Odyssey » (dédicacé par Maxine Brown, s'il vous plait !) alors qu'il est malheureusement quasi impossible de se procurer encore des disques des Browns que ce soit sur le net, chez les grandes enseignes ou directement sur le site de Maxine Brown mentionné dans l'épilogue du livre.
Et même si j'ai cru comprendre des échanges que j'ai eus avec Maxine Brown par courriel que cette biographie romancée ne rencontrait pas totalement l'approbation du trio (« we do not and never have condoned the fiction book by Rick Bass. It is full of lies and its all fiction, no truth whatsoever»), préférant proposer sa version des choses (« you need to read my book, "Looking Back To See" »), jevous invite à découvrir ce livre : cela a réellement été pour moi une découverte et un enchantement.