est une collection, chez Casterman, qui unit des sociologues à des auteurs de bande-dessinée. A partir d’expériences de terrain, d’analyses et d’enquêtes de société, émerge une fiction.
Claire Braud s’inspire ici du travail du sociologue Nicolas Jounin et raconte, à sa manière, les conditions de travail sur un chantier du BTP, mais sans jamais s’éloigner du réel. Ou comment rendre accessible et lisible des analyses sociologiques souvent très longues, éviter le jargon et les théories trop savantes, informer sans compliquer. Et cela marche plutôt bien.
Divertissante et instructive, effarante et terrible, sûrement vraie, l’histoire de Hassan le ferrailleur et de Soleymane le coffreur sans papiers possède à la fois la force réaliste, lucide et bien vivante d’un documentaire et la subtilité narrative d’un récit intelligent et juste, drôle et attachant, tout en nuances.
Percutant sans être militant (là n’est pas son rôle), il décrit des situations de travail éprouvantes, familiarise le lecteur avec un milieu professionnel pas forcément bien connu, lui fait prendre conscience des dérives sociales qui s’opèrent à tous les niveaux mais sans incitation à la révolte.
Un regard très personnel, une distance appropriée et une tonalité humoristique revendiquée, tous révélateurs d’une belle sensibilité et d’un engagement intime incontestables, assurent, au final, une lecture attractive et réjouissante.
L’histoire retrace une semaine ordinaire (ou presque) de la vie de Hassan, jeune ferrailleur arabe. Missionné par une agence d’intérim, il se rend sur un chantier pour renforcer l’équipe d’ouvriers de l’entreprise de gros œuvre Boucifage Construction. Là, il découvre une vraie jungle, des conditions de travail éreintantes, une hiérarchisation des tâches implacables, selon les origines. Ainsi les Maliens sont souvent manœuvres (« boubous, quoi »), les ferrailleurs arabes et sans papiers, les Portugais plutôt coffreurs et embauchés. Et les Français, « tu en connais, toi des Français qui viendraient faire ça ? »
Une cadence infernale maintenue par le pouvoir de la terreur. « Plus ils ont peur, plus ils travaillent vite ». Une sécurité d’apparat face à laquelle l’inspection du travail semble impuissante, juste dépêchée pour constater, prévenir, prendre des notes « et ça continue pareil ».
L’impossibilité pour ces « esclaves du bâtiment » d’être malades ; la médecine du travail qui n’ose pas écrire « apte sous réserve » sinon c’est la fin des contrats. L’usure prématurée des corps, « à 40 ans tu es tout le temps fatigué ». Des employeurs hypocrites, des agences d’intérim vénales, un racisme quotidien ; bienvenue dans le BTP !
On pourrait se passer de rire mais c’est sans compter sur Claire Braud, son humour, ses dialogues acérés et son dessin en noir et blanc, expressif, presque sonore. Vif d’émotions.