L'île d'Okinawa est le théâtre des six nouvelles composant ce recueil.
La vieille Uta arrivera-t-elle à soigner le mabui et à faire revenir au sein de sa famille l'âme de Kotaro qui s'est installé sur le bord de la plage - à l'endroit même où, des années auparavant, sa mère a été assassinée par des soldats - et qui contemple la mer où s'enfonce une magnifique tortue après avoir déposé ses œufs dans le sable ?
Les collégiens du village avaient l'habitude de faire enrager le Père Brésil en venant lui chaparder les prunes sur les arbres de son verger. Jusqu'au jour où, à l'issue d'un épisode qui aurait pu devenir dramatique, se noue entre le vieil homme et l'un des enfants une relation inattendue qui les conduira à partager un awamori mythique : un alcool préparé des dizaines d'années plus tôt par le père du Père Brésil.
Dans la cour de l'école, les commentaires du combat Clay/Frasier vont bon train entre les garçons. L'occasion pour deux d'entre eux de nouer une relation nouvelle qui va les conduire des arrières-cours de bars où ont lieu des combats clandestins entre GIs jusqu'à des découvertes plus ambiguës nées de l'adolescence.
C'est parce que les plumes de l'animal viraient de cette couleur que Takashi a appelé Aka – le rouge – le coq de combat que son père lui a offert petit poussin alors qu'il était enfant. Un coq magnifique, aux ergots redoutables, à la violence indomptable qui devient rapidement une star de paris clandestins organisés autour de ces combats. Jusqu'à ce qu'il attire l'attention et la convoitise de Sakatora, un chef de gang, dont les offres de rachat sont devenues irrésistibles pour le père de Takashi lequel s'était pourtant crânement opposé à cette vente.
Au pied du ficus, une petite fille écoute le récit de sa vie que lui raconte la descendante d'une lignée de kaminchu, ces prêtresses qui officiaient au creux de la forêt sacrée, déposaient les offrandes sur l'autel et priaient ? Une vie débutée par une naissance difficile ayant rendu son développement trop lent et ayant conduit ses parents à s'en débarrasser auprès de sa grand mère pour s'éviter cette charge. Cette grand mère qui s'était occupée de tout pour elle quand elle a refusé de retourner à l'école où ses camarades la maltraitaient mais dont la mort l'a laissée seule au bord de ses dix huit ans, refusant de retourner chez ses parents.
Alors qu'il a seulement quatre ans, un petit garçon est accompagné par sa mère loin de chez lui, chez sa grand mère. Ce n'est que longtemps après qu'il comprendra son suicide, expliquant la tombe isolée du caveau ancestral et expliqué par un père alcoolique et violent dont elle recevait les coups en voulant le protéger. Une courte enfance traumatisante qui va laisser en lui des marques indélébiles.
Okinawa est une petite île du Sud Est du Japon. Elle est longtemps restées sous administration américaine après la guerre avant d'être restituée au Japon en 1972. Originaire de l'île, y situe chacune de ses six nouvelles à différentes étapes de son histoire.
Il y mêle savamment mais délicieusement un brin de nostalgie, des soupçons d'écologie, une pincée de féerie, quelques gouttes d'anciennes croyances rurales et beaucoup de délicatesse.
Le rêve, l'autre monde sont souvent présents : ils restent cependant seulement visibles à ceux qui ont le don de double vue, ceux qui, comme les prêtresses, peuvent accéder à un ailleurs plein de surprises : des choses qui n'ont rien d'effrayant mais qui sont un moyen, pour les disparus, de rester quand même au contact des vivants et, pour ce derniers, de soulager la solitude de ceux qui sont partis.
Il y a aussi une phase de transition culturelle où les temps anciens disparaissent peu à peu, où les anciens métiers, les immémoriales traditions finissent par s'évanouir parce que le relais n'a pas été ou n'a pas pu être passé aux générations nouvelles.
Il y a la nostalgie des pêches anciennes, devenues miraculeuses à l'aune de l'apocalyptique aujourd'hui qui détruit ses écosystèmes et rend les dons de la nature impropres à la consommation des populations locales qui, toujours, y avaient trouvé les moyens de subsister.
Etonnamment, se répètent des relations d'enfant à aïeul, liés ou non par des liens de parenté qui, après avoir fait entrevoir le fil de la continuité de l'Histoire, se terminent sur une rupture de ce fil insuffisamment consolidé.
Ce sont des pages déroutantes et envoûtantes que Medoruma SHUN nous propose là, et ce serait bien dommage de passer à côté.