Ma femme me dit toujours que je ne pense à rien dans la maison. Et partageant ce trait avec nombre de grands esprits, j’aurais mauvaise grâce de la faire mentir. N’allez pas croire que ça me donne le droit de me compter parmi les grands esprits, justement. Non, c’est tout l’inverse. Je plains bien au contraire les conjointes de ces derniers.
Aussi ai-je autant de compassion pour Adela qu’elle doit éprouver d’amour pour son Roger de mari. Tout particulièrement lorsque celui-ci proclame après une semaine de délire et de semi-coma, que l’on a tenté de l’assassiner. Oh, certes, ce genre d’excuses servirait fort bien à faire oublier une soirée où l’alcool coula par trop à flot.
Mais la vérité est ailleurs, et pas simplement dans une vieille série où l’on traquait la présence d’extra-terrestres ou les exactions du gouvernement américain ! Car Roger, le colporteur de Bristol a pourtant bien été repêché in extremis par un marchand ambulant passant près d’une rivière. On l’avait alors pris pour un tas de vêtements jetés négligemment à l’eau. Oh, infamie !
Roger, peu adepte des bains lorsqu’il est inconscient et donc plus enclin à se noyer, se voit alors accusé d’ivrognerie, et vertement tancé par son épouse. Or, lui tente de faire entendre une chanson toute autre. Alors qu’il finissait sa journée et regagnait ses pénates, voilà qu’une averse du diable se profile et qu’il gagne un refuge temporaire pour échapper à la saucée. À l’intérieur, du beau monde l’attend. Et l’assomme. Il se réveille, conscient d’avoir été frappé pour un autre, mais se fait renvoyer dans les pommes, après avoir clairement entendu que l’on comptait ferme se débarrasser de lui. Entre temps, l’invité indésirable que l’on avait confondu avec est arrivé, une sorte d’Irlandais, et se fait tuer, vite fait bien fait.
L’affaire mérite bien que l’on troque la besace du colporteur pour la loupe de l’enquêteur. Et Roger d’arpenter la ville de long en large pour démontrer que sa version des faits n’est pas le fruit d’une beuverie qui aurait mal fini. Simplement, quand on a pris le shérif de la ville en grippe, et qu’il vous le rend bien, difficile de traquer la vérité.
D’autant que la maison où Roger clame avoir été frappé jouit d’une mystérieuse histoire d’assassinat, dans des conditions très semblables. Un Irlandais y avait trouvé la mort. Exactement comme dans l’histoire que Roger colporte. Trop de coïncidences pour ne pas sentir là un fameux mystère. Surtout si les espions du roi vous enjoignent de cesser là vos investigations…
Effectivement, un mystère plane. Mais n’espérez pas le démasquer avant que l’auteur ne l’ait décidé. Si l’on suit les aventures parfois périlleuses de Roger Pollman dans le petit monde de Bristol, sans le lâcher d’une semelle, même en cuir, il ne vous dira jamais ce qui lui trotte dans la tête. Tout juste le devine-t-on quand il entre chez une sorte d’herboriste qui lui propose de lui fabriquer, pas franchement sur mesure, un préservatif en boyaux de porc. Taille grande s’entend, of course.
De même donc que l’on ne comprendra les tenants et les aboutissants du crime liminaire, de même, on piétinera quelque peu à plonger dans une Angleterre médiévale vraiment immersive. Çà et là, des détails vous rappelleront qu’Internet n’existe pas ou que l’on ne se déplace pas en vélib. Mais pour ce qui est de l’ambiance, on reste sur sa faim. Oh, bien sûr, on ne boit pas des demis ou des Kro, bien plutôt des mazers d’ale, mais est-ce suffisant pour recréer un univers passé ?
Enfin, reste l’intrigue en elle-même. Non pas sa résolution, soumise à des aléas indépendants de votre bon vouloir, mais ce qui la forge. Ben… euh… bof ? On rebondit d’un simple meurtre vers des implications politiques de façon surprenante. Et comme l’on n’a rien pu tenter d’éclaircir soi-même, on reste passivement à attendre que cela se passe, sans autre forme de procès. Les ennuis se succèdent, les rebondissements s’enchaînent, on y assiste impuissant, avec la rage aux lèvres de n’y rien comprendre.
D’ailleurs, saviez-vous qu’une bonne décoction à base d’oignon empêche d’avoir des enfants ? Essayez d’en faire boire un bon litre à votre moitié. Aurez-vous réellement le goût de braver l’odeur pour un peu d’alpinisme sur le mont Vénus ?
Bref, pas franchement un mauvais livre, puisque l’on ne le referme pas dès la huitième page. Juste un peu lassant si l’on n’aime pas vraiment le policier qui ne vous culbute pas cul par-dessus tête, au petit bonheur la chance.
Après pour faire tenir trois heures durant un trajet en train…