Après le succès mérité de la trilogie consacré aux frères La terre des mensonges » et suite) Les éditions Balland poursuivent la publication de l'œuvre d'Anne B.Ragde, avec moins de bonheur cette fois.
En effet, ce dernier roman a quelque chose d'artificiel, est doté d'une intrigue sans envergure et plutôt mince, n'amuse pas beaucoup, ennuie même parfois et l'on finit par se demander où l'auteur a voulu emmener son lecteur. Assurément pas au-delà de l'immeuble sans charme de « la cité de l'avenir », lieu unique de l'histoire.
Une sorte de huis clos, donc, situé dans les années 60, à Trondheim, ville moyenne du nord de la Norvège dans un quartier populaire de classes moyennes. Au fil des pages, le lecteur va pénétrer dans chacun des huit appartements de l'immeuble locatif et s'immiscer dans le quotidien « très privé » des habitants, à la rencontre des femmes principalement, toutes plus ou moins occupées à faire de leur foyer un espace propre et rangé en attendant le retour d'un mari besogneux.
Dans cet univers encore très machiste, chacun s'observe, se jalouse ou se critique, rêve d'évasion, d'enfant ou d'aspirateur mais sans jamais véritablement créer une émotion, de l'intérêt ou un divertissement pour le lecteur qui reste, spectateur plutôt passif, vaguement interpellé par ce microcosme, pourtant parfaitement approprié à l'étude sociologique, représentatif d'une société en pleine mutation, où l'émergence et le développement des appareils électroménagers dans les foyers norvégiens commencent à modifier la place de la femme dans la société et va progressivement bouleverser les rapports homme-femme.
Que ce soit Peggy-Anita, jeune femme pulpeuse qui fait son ménage entièrement nue, laissant saliver tous les hommes de la cage d'escalier : « tous les hommes sans exception, avaient la langue pendante quand elle montait les marches en roulant des hanches, avec ses hauts talons et ses foulards en mousseline qui s'envolaient toujours au vent et après lesquels elle devait courir pour les rattraper. Quand elle se penchait pour les ramasser, sa jupe courte lui remontait sous les fesses et on voyait tout. »Mme Asen, en mal d'enfant , qui brique les parties communes sans répit, sous le regard agacé des autres femmes, Barbara, l'Anglaise, coiffeuse à domicile et détentrice d'un téléphone, Maud, jeune mère dépressive, ou encore Karin et Sisdel, soumises et fumeuses invétérées, toutes semblent manquer d'envergure, pourraient même se confondre entre elles si l'auteur ne prenait pas soin, à chaque chapitre de les renommer. Des femmes ordinaires, sans destinée particulière, plutôt superficielles, certes décrites dans leur intimité, mais juxtaposées, appréhendées par le lecteur dans une globalité, telles les femmes de l'escalier A. Aucune n'est réellement mise en vie et l'ensemble, stéréotypé, sonne faux.
« Ah, il ne pouvait pas les blairer, les bonnes femmes de son escalier, c'était du genre à tout savoir mieux que tout le monde, mais à prétexter qu'elles étaient trop fatiguées du ménage de la journée pour écarter les cuisses le soir. » Quant aux hommes, personnages plus secondaires, ils sont l'incarnation du sexisme ambiant de l'époque, vaguement virils, assez rustres, un brin vaniteux, rarement pathétiques ou drôles et aucun protagoniste finalement ne parvient à créer une intrigue originale dans laquelle le lecteur aimerait pénétrer. Il reste définitivement sur le palier.
Enfin, pour intégrer l'histoire au cœur des années 60, Anne B. Ragde a pris soin d'y insérer des références communes à la mémoire collective (musique, marques de produits, événements d'actualité, vêtements d'époque, nouvel électroménager, plats culinaires…) mais parfois, hélas, elles semblent rajoutées, si invasives et nombreuses qu'elles dénaturent l'ensemble et lui donnent un aspect factice.
Finalement, la venue du vendeur à domicile, en toute fin de roman, permet au roman de trouver sa chute, toute prévisible et bien fade.