a, pendant longtemps, été ignorée du grand public. Effacée par la renommée de son jeune frère Paul, écrasée par la personnalité d'Auguste Rodin, son maître et amant, internée pendant 30 ans en asile psychiatrique et ainsi condamnée au silence, elle ne sort véritablement de l'ombre qu'à partir des années 80, notamment grâce au film (césarisé plusieurs fois) de Bruno Nuytten (avec Isabelle Adjani) et conquiert facilement alors un public plus vaste, souvent féminin, non seulement par son talent de sculpteur mais également par sa sensibilité créatrice et affirmée, sa modernité à modeler les formes, sa fragilité mentale et par sa vie même, terriblement éprouvante, souvent indigne et inhumaine, révélant ainsi les conditions terribles réservées aux personnes internées en hôpitaux durant la seconde guerre mondiale (cf. à ce sujet également, le remarquable récit de Charles Juliet sur sa mère, « Lambeaux »).
« L'œuvre de ma sœur, ce qui lui donne son intérêt unique, c'est que tout entière,
elle est l'histoire de sa vie. »
Ainsi donc, cet ouvrage de correspondance (qui servira d'ailleurs de base à l'écriture de romans, d'essais, de catalogues ou de films), présente au lecteur un ensemble de lettres, certaines jamais expédiées, d'autres reçues, parfois non transmises à l'artiste, restitué d'un point de vue chronologique, qui jalonne l'existence de l'artiste et participe à la compréhension de l'œuvre et de la femme également, capable de retenir l'intérêt non seulement des spécialistes ou amateurs d'art mais aussi d'un public plus ordinaire, touché et emporté par cette existence de souffrances et de frustrations, animé par un sentiment d'injustice, en mesure ensuite d'œuvrer avec ferveur à sa réhabilitation. Camille Claudel est une artiste à part entière. Ces lettres, empreintes d'émotions fortes, de colères affirmées, de cynisme et d'un profond désespoir aussi parfois, d'une douleur psychique incontestable bouleversent et éveillent, révoltent et indisposent aussi, donnent à voir son extrême solitude, illuminent son œuvre avec beaucoup de puissance, créent véritablement l'envie de découvrir ses réalisations. A ce titre d'ailleurs, il est prévu l'ouverture d'un musée Camille Claudel à Nogent-sur-Seine en mai prochain. D'autres auront remarqué le film de Bruno Dumont sorti l'an passé « Camille Claudel, 1915 ».
Ce recueil, qui se lit presque comme un récit épistolaire, permet de suivre l'évolution de l'artiste, d'intégrer son environnement professionnel, de découvrir ses amis, le quotidien d'une femme-artiste en ce début du XXème siècle et les notes ajoutées, riches en précisions permettent de mieux comprendre son parcours. Toutes reproduites à l'identique, ces lettres n'omettent ni les fautes d'orthographe, ni les ratures, ce qui ajoute au réalisme et à la vitalité des situations relatées.
On constate d'emblée l'immense déséquilibre entre le nombre de lettres qu'elle envoie et la rareté de celles qu'elle reçoit (elle en aurait brûlé beaucoup). Certaines, selon le souhait de la famille, ne lui seront jamais transmises mais resteront conservées dans son dossier médical. C'est certainement ce contexte d'isolement forcé qu'elle connaîtra à la mort de son père qui donne à ce recueil une tonalité affective très particulière, embarrasse même parfois le lecteur, notamment lorsque certaines notes de bas de lettres précisent nettement la volonté familiale d'abandon. Ainsi sa mère, s'adressant au médecin de l'asile : « … elle [Camille] me demandait instamment de la reprendre pour vivre avec moi. Cela n'est pas possible. Je suis très âgée et ne veux à aucun prix accéder à sa demande ».On découvre aussi à travers ces courriers, les terribles conditions de vie des malades enfermés. « Il a fait tellement froid que je ne pouvais plus me tenir debout […] Une de mes amies a été trouvée morte de froid dans son lit, c'est épouvantable […] Le fond de la nourriture est celui-ci : de la soupe, c'est-à-dire des légumes mal cuits […] Quant à la chambre, c'est la même chose, il n'y a rien du tout, ni un édredon, ni un seau hygiénique. » (Camille Claudel mourra de malnutrition d'ailleurs).
Les lettres adressées à Rodin et les rares réponses de l'artiste traduisent la relation passionnelle et intense qui unira quelques années les deux sculpteurs. « Je n'en puis plus, je ne puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l'atroce folie […] Toute mon âme t'appartient […] que mon cœur sente encore ton divin amour se répandre à nouveau. », écrit-il à Camille en 1886, jusqu'à formuler son engagement exclusif envers elle : « Je ne tiendrai pour mon élève que Mademoiselle Camille […] Je n'accepterai plus d'autres élèves pour qu'il ne se produise pas par hasard de talents rivaux […] Je ne prendrai aucun des modèles de femmes que j'ai connus […] Mademoiselle Camille s'engage à me recevoir à son atelier quatre fois par mois jusqu'au mois de mai. » Puis Camille se libère de cette dépendance artistique et tente d'affirmer sa propre création (l'Age mûr).
Un ensemble de lettres à son amie Florence Jeans, à sa mère, à son frère Claude, à sa cousine, aux critiques d'art, à des marchands d'art et collectionneurs, à des confrères, à ses médecins, autant de destinataires divers auxquels elle se livre, se construit et se démantèle au fil des ans, évoque sa conception de la sculpture, sa quête artistique, exprime sa féminité et son talent, sa fragilité, ses difficultés à obtenir des commandes, ses peurs et sa colère, son sentiment de paranoïa, sa grande solitude, sa détresse immense.
Une 3ème édition augmentée de 36 lettres adressées au marchand, collectionneur et critique d'art belge Léon Gauchez,. Un précieux outil de travail aux chercheurs présenté par Anne Rivière et Bruno Gaudichon, (auteurs également de « Camille Claudel 1864-1943 ») mais dont le public ordinaire s'imprégnera aisément et avec intérêt.