C’est une histoire qui se répète semble-t-il. Parmi tant de défenseurs de la liberté, une figure emblématique a ajouté à un panthéon de personnalités ayant oeuvré pour la démocratie. À l’instar d’autres dissidents aux dictatures militaires tels Aung San Suu Kyi en Birmanie et Chirine Ebadi en Iran, Benazir Bhutto s’est lancé au nom du peuple pakistanais tout entier contre les excès d’un régime inégalitaire et totalitaire.
Emprisonnée, torturée, lynchée ou exilée à diverses reprises, elle n’a jamais baissé les bras croyant jusqu’au bout à l’avènement de la démocratie. Elle a y laissé beaucoup : son père Zulfiqar Ali Bhutto, premier ministre torturé puis assassiné par la dictature militaire, son frère Shah Nawaz Bhutto vraisemblablement empoisonné, son mari et sa mère longuement emprisonnés sans aucun jugement pour des faits jamais prouvés. Cet espoir, incarné par Benazir Bhutto, a disparu le 27 décembre 2007 dans un attentat à Rawalpindi…
Chaque jour, chacun prend acte d’informations traitant d’hommes et de femmes se battant pour défendre les valeurs démocratiques. Toutefois, elles nous semblent tellement éloignées qu’elles nous touchent peu voire pas du tout. C’est un fait, nous sommes privilégiés et soyons sûrs que nous apprécierons réellement les bienfaits de la vie en démocratie une fois qu’elle aura disparu. Sur ce constat amer (exagéré certes), je cherche simplement à démontrer que tout ce qui nous est étranger nous intéresse très peu finalement.
En lisant la propre histoire de Benazir, rendons-nous compte à quel point des individus anonymes, simples et humanistes ont souffert, souffrent et souffriront encore pour défendre une société une juste et équitable. D’autres l’ont fait avant nous pour obtenir toutes les libertés et la vie que nous connaissons aujourd’hui. Ces individus pourraient s’avérer être nous un beau jour, pourquoi pas ? Le témoignage de Bénazir Bhutto prouve au moins une chose fondamentale : à quel point la démocratie est un trésor fragile.
C’est le vécu d’une femme et de son peuple qui refusent le totalitarisme, l’extrémisme et une interprétation autocentrée de la situation géopolitique. Ce que vit encore aujourd’hui le Pakistan : une dictature, une suspicion d’abriter des organisations terroristes, une paupérisation croissante de la population, une escalade du complexe militaro-industriel contre ses voisins (l’Inde en premier lieu)… il le doit en partie à l’Occident. Dès le début des années 70, le pays était sur la voie de la démocratie. Un coup d’Etat militaire en a décidé autrement.
La situation politique de la région de la fin de la décennie a exacerbé ce malheureux contexte : la chute du Shah d’Iran et bientôt la guerre en Afghanistan n’y sont pas étrangères. La région a représenté un enjeu stratégique majeur pour les États-Unis et ses alliés. Nos politiques ont en effet laissé s’installer un régime autoritaire favorisant l’islam radical pour contrer l’influence soviétique en Orient. Le résultat a été au final le retournement des groupes armés manipulés, les moudjahidin contre leurs anciens financiers. Combattants pour l’Islam soupçonné de se cacher dans les grands espaces du nord du Pakistan dont les autorités du pays ont considéré qu’ils n’étaient et ne restent que des régions ingouvernables.
Pour finir, quelques mots qui résument bien l’idée générèrent : « Cette inquiétante constante, reliant les complots et attentats terroristes contre l’Occident au Pakistan n’est pas le fruit du hasard. À mon sens, elle est même d’une logique implacable : bien que le rapport de cause à effet soit souvent sous-estimé, elle est une conséquence de l’attitude de l’Occident qui laisse, depuis des décennies, les régimes militaires pakistanais museler les aspirations démocratiques du peuple pakistanais tant que les dictateurs servent ouvertement ses intérêts politiques ».
Aujourd’hui, Benazir Bhutto a été assassiné… Reste le Général Pervez Musharraf à la présidence du pays. Malgré ses promesses de réintroduire la démocratie il y a cinq ans, la situation n’a toujours pas évolué. Au contraire, les observateurs internationaux rappellent à chaque élection les insuffisances et les manquements aux règlements d’un scrutin. L’opposition est elle-même minée de l’intérieur par la formidable corruption qui ronge le pays. Espérons que le peuple pakistanais continuera à lutter, sinon les paroles de Martin Luther King Jr deviendront réalité : « Notre vie commence à s’arrêter le jour où nous gardons de silence sur les choses graves ».