Une mère, par sa définition même, semble porter en elle, la culpabilité. Lucienne, employée de commerce dans une petite ville de province ("une ville où l'on connaît la couleur de votre manteau"), est anéantie par ce sentiment, enfermée dans cette souffrance depuis que son fils, Sébastien, vingt-trois ans, a été condamné à treize ans de prison pour homicide. Chaque jour désormais, dans toutes ses activités, elle est avalée par ce jugement rendu, emprisonnée à son tour, dans chaque moment de sa vie. Pire qu'un deuil puisqu'on n'en sort pas.
"Il y a des moments sans soulagement possible, sans consolation, il y a des heures de malheur dans la vie des gens, et rien n'y fait. Des heures de dévastation."
A travers ce récit, à la fois sensible et très digne, la mère se livre, dans un style simple et assez dépouillé, d'une proximité saisissante avec le lecteur, raconte cette vie nouvelle, l'épreuve qui la meurtrit désormais chaque jour, comment elle fait face ; confie ses sentiments les plus intimes, sa douleur profonde sans s'apitoyer. Sans fard, elle crie son effondrement d'abord, sa peine incommensurable, l'envie d'y échapper, de renoncer ("s'appuyer sur l'étouffement chimique") puis la gêne, la honte qui, progressivement, face aux gens, la submergent, semblent l'accuser au final, l'impliquent elle-même dans la décision prise par la justice.
Elle laisse défiler les souvenirs, cherche des éléments pour comprendre, donner raison à la sentence, confie sa maladresse, ses limites de langage pour défendre son fils le jour du procès. Les mots qu'elle n'a pas su dire, la force de persuasion qu'elle n'a pu dégager auprès du procureur, impuissante, presque ignorante ; tout ce vide dont elle se sait responsable, elle l'emplit d'un sentiment d'échec personnel avec un réalisme froid, abrupt et déchirant. "C'est maladroit ce que l'on dit, c'est bancal, ça échoue, c'est la sensation qu'on a, que cela échoue, que l'on ne sauve rien ni personne."
Une vie de lutte, d'affrontement avec soi-même, avec les autres sans d'autre soulagement que le chagrin et les larmes, qu'elle se refuse le plus souvent ("un frein qui interdit"). Visage contrit, comme s'il fallait expier la faute, elle se tourne vers sa tragédie, pénètre dans une autre vie, un quotidien où chaque geste répété, chaque mouvement de corps, chaque détail, chaque élément matériel ("meubles usés, laids") s'imprègnent alors de tristesse, de lourdeur, de désolation ; martèlent la condamnation, SA condamnation, SON châtiment. "Elle est enfermée, condamnée, une condamnée invisible, d'une prison invisible dans sa tête et dans son corps, réduite à l'infamie de la prison, réduite à la torture de la prison."
Dans cette guerre qu'elle mène, il y a quand même de rares moments pour la colère et l'épanchement, de rares moments pour tenir bon et c'est chez Luisa, la voisine, qu'elle aime se réfugier, se libérer, échapper, juste un instant, à sa culpabilité. Mais le supportable, la médiocrité d'une vie ordinaire, ce qui la compose, les tracas et soucis endurables, les joies légères et mesurées, tout cela n'est plus. Aujourd'hui ce sont les remords à vie, la violence, le chagrin et le malheur, il faut "s'abandonner à la réalité". La nuit commence.
, dans ce récit au présent et à la 3ème personne réussit parfaitement, grâce à une écriture acérée et percutante, à rendre compte avec intensité du bouleversement d'une vie entière, du drame qui condamne inexorablement une mère lorsque son fils bascule lui-même dans la tragédie. A la fois sensible et très sobre, le texte ne sombre jamais dans l'excès de pathos mais, d'une tonalité juste et réaliste, parfois brutale, presque clinique, il ébranle le lecteur, lui fait ressentir avec douleur le fardeau qui arque cette mère mais également toute l'impuissance à pouvoir l'alléger. A jamais.
"Tout est fini, tout est achevé, il a tué."