Les Editions de l'Elan sont nées en 1989 à Nantes. en est le fondateur discret. A titre passionnel exclusivement.
Avec l'envie de transmettre une culture spécifique, encore mal connue dans les années 90 en France, Denis, sans jamais cesser son activité professionnelle (rattachée au rectorat) se lance dans l'édition. 85 titres plus tard et une passion qui l'a éprouvé et dévoré même parfois, il a cédé sa maison édition à Thierry Maricourt en 2011, un autre passionné, et profite de sa retraite pour continuer à lire des auteurs nordiques ou s'immerger dans le cinéma muet finlandais. Entre deux traductions de sous-titrages de films finnois, Denis a accepté de répondre à quelques questions.
Comment est née votre passion pour la culture nordique ?
Mon intérêt pour la littérature nordique vient du cinéma. Étudiant à la fin des années 1960, j'ai passé beaucoup de temps dans les salles de cinéma et commencé à fréquenter quelques festivals. La réforme du cinéma suédois commençait à porter ses fruits et pas mal de films ont été diffusés alors, outre ceux d'Ingmar Bergman déjà connu, et reconnu depuis quelques années. J'avais été particulièrement séduit par la qualité de la photographie, la nature présentée, les thèmes traités : importance de l'enfance, par exemple. J'ai alors remarqué que certains films étaient tirés de romans et j'ai commencé à farfouiller ici et là pour en trouver. J'ai eu la chance de tomber sur des auteurs qui m'ont encouragé à en chercher d'autres, même si après les Vilhelm Moberg, Eyvind Johnson, Per Olof Sundman, Halldor Laxness, etc., j'ai lu des auteurs qui n'avaient pas la même valeur.
Comment devient-on ensuite éditeur de littérature scandinave ?
Je suis passé à l'édition bien longtemps après. Après une vingtaine d'années comme lecteur de cette littérature nordique, j'avais une certaine connaissance du domaine en question, mais c'est la rencontre avec Philippe Bouquet, lors du défunt Festival du livre de Nantes, en 1987, qui a été déterminante. Il m'avait alors confié quelques manuscrits à la recherche d'un éditeur, que je devais faire suivre à Christian Bouthemy qui avait publié quelques traductions d'auteurs nordiques aux éditions Arcane 17 qu'il dirigeait à Saint Nazaire. Comme, deux ans plus tard, je demandais à Philippe s'il y avait une suite à attendre de cela et comme sa réponse était négative, je me suis dit qu'il y avait peut-être quelque chose à faire. D'où, parmi les premiers livres que j'ai publiés, deux traductions signées Philippe Bouquet : Village fermé de Folke Fridell et Le champ de pierre de Tove Jansson.
En quelle année avez-vous créé les Editions Elan ? Pendant combien d'années l'avez-vous dirigée ?
Pour éditer, j'ai créé une association loi 1901, l'Élan, en 1989 et les premiers livres sont parus début 1991. L'aventure s'est terminée en 2011, 85 publications plus tard.
Comment êtes-vous parvenu à concilier votre activité professionnelle et votre passion des livres ?
Évidemment une telle activité ne pouvait pas être rentable. Je ne pouvais m'y consacrer que le soir ou lors de mes vacances, pas toujours aux moments les plus favorables pour me consacrer à la vente et à la promotion des livres. Je suis d'ailleurs assez mauvais dans ces deux registres, mais je n'avais pas les moyens de faire autrement au départ. J'ai essayé ensuite d'entrer dans le système diffuseur/distributeur pour avoir un accès plus large en librairie, avec des résultats tous relatifs.
Maîtrisez-vous les langues scandinaves ? Comment faisiez-vous pour choisir les livres à éditer ?
Pour les langues scandinaves, ce que j'en sais je l'ai appris de manière toute personnelle et fragmentaire. J'arrive à traduire un résumé de livre, un scénario de film, bref des choses simples. Pour choisir les ouvrages publiés par l'Élan, ce n'était pas suffisant. J'ai procédé de 3 façons pour établir mon catalogue : à partir d'auteurs reconnus (Hjalmar Bergman, par exemple), à partir de manuscrits que les traducteurs m'envoyaient, à partir de lectures que j'avais faites et qui me paraissaient mériter une seconde chance.
Quelle est la part dans votre catalogue, de rééditions avec de nouvelles traductions et de réelles nouveautés ?
Dès le départ, j'avais envisagé de publier moitié auteurs vivants, moitié auteurs tombés dans le domaine public (dont sans droits d'auteur à verser, avec le risque que quelqu'un d'autre soit intéressé par le même ouvrage. Éventualité assez rare, mais pas inexistante!) et d'essayer d'avoir un équilibre entre traductions inédites et rééditions (pour la même raison financière bien sûr, mais aussi parce que certains textes me paraissaient dignes d'être remis en circulation).
Les littératures nordiques se ressemblent-elles, selon vous ?
Oui, il y a des ressemblances dans les littératures nordiques, surtout liées à l'omniprésence de la religion protestante, mais aussi à la situation géographique et à ce qu'elle conditionne. Après, il y a des intérêts communs, j'en parlais plus haut, pour la nature et l'enfance (que ce soit dans la littérature générale ou dans la très riche littérature jeunesse de ces pays). Aujourd'hui, il est plus difficile de trouver des rapprochements spécifiques et particuliers, on est plus dans une certaine universalité et la littérature nordique a perdu une autre de ses particularités. Jadis, elle était l'œuvre d'auteurs qui écrivaient pour dire quelque chose, pour agir socialement (au-delà de la spécificité de la littérature prolétarienne), maintenant, on a parfois l'impression qu'on écrit en Scandinavie comme dans le reste du monde et qu'on écrit surtout pour vivre de sa production. Cela n'a rien que de très normal, sans doute, mais il faut écrire beaucoup, trop parfois, et la littérature n'en sort pas grandie. Il faut dire que la critique se résume souvent à la promotion d'auteurs en vogue et que l'inflation des publications fait que les plus grandes gueules s'en tirent mieux que les auteurs plus modestes.
Quel est votre plus grand regret en matière d'édition ?
J'ai sans doute voulu avoir plus d'importance que je n'en avais les moyens... mais les littératures nordiques sont si riches ! J'ai sans doute publié parfois dans la hâte... mais si vous arrêtez un petit moment pour réfléchir, on vous enterre ! À la réflexion, je regrette de n'avoir pas limité mon activité, de ne m'être pas consacré au courant prolétarien (c'est là que j'ai trouvé le meilleur de la littérature scandinave) ou même à un auteur ou deux Vilhelm Moberg, Eyvind Johnson. Je pense que j'aurais donné à mon activité plus de sens, alors que ma production s'est émiettée un peu partout, certes avec des auteurs que je ne renie pas mais qui ne m'ont pas permis de constituer la vitrine rêvée de la littérature nordique que je souhaitais faire.
Quelle est votre plus belle fierté en matière d'édition ?
Je ne retire pas de fierté particulière de ce que j'ai fait en matière d'édition. J'ai fait ce que je pouvais. Peut-être qu'avoir résisté plus de vingt ans, ce serait ça ma fierté.
Quelle fut votre meilleure vente ?
S'agissant de ma meilleure vente, il n'y a pas photo : Les gens de Hemsö de Strindberg. L'auteur est connu et on vend bien les noms connus, souvent quelle que soit la valeur de l'œuvre. Mais c'est un roman que j'aime bien, plus suédois que Strindbergien. Cela avait un sens pour moi de publier ce livre.
Pouvez-vous nous présenter son repreneur ?
Je n'ai pas cessé mes activités de gaieté de cœur, mais j'étais usé après plus de vingt ans par les activités annexes pour moi mais nécessaires que sont les contraintes administratives et matérielles (la saisie et la mise en page des ouvrages, la publicité, les expéditions, la comptabilité, etc.), mais je ne voulais pas abandonner les livres publiés. Je savais que Thierry Maricourt* était intéressé par la littérature et nordique. Il m'avait d'ailleurs contacté, voulant tenter une nouvelle expérience dans l'édition, pour que je lui soumette une liste d'ouvrage qu'il serait intéressant de rééditer. C'est donc, tout naturellement, que je lui ai proposé de reprendre l'Élan. Le connaissant, je savais qu'il était le mieux placé pour continuer dans la ligne qui avait été la mienne.
Avez-vous eu envie d'abandonner ? A quel moment ?
Quand on voit l'investissement que cela demande, le temps que ça prend et les piètres résultats obtenus, on a souvent eu envie d'abandonner. Mais, d'un autre côté, c'est une activité qui a un sens, peut-être surtout quand il n'y a rien à attendre côté financier. Et on s'accroche comme à quelque chose de dérisoire, certes, mais de nécessaire. J'ai rencontré les textes de Moberg et de Johnson à un moment où j'en avais besoin et où ils m'ont aidé à me stabiliser dans ma vie personnelle. Je me dis parfois que, si j'ai fait de l'édition, c'est un peu pour les remercier de ce qu'ils m'ont apporté. Il faut que la littérature ait un sens, il faut qu'elle agisse sur nous. Cela fait mal souvent de voir des écrivaillons se targuer d'être des écrivains.
Que diriez-vous à un(e) jeune passionné(e) qui souhaiterait se lancer comme éditeur spécialisé ?
Je me suis lancé assez tard dans l'édition. Je connaissais les livres, mais rien de leur production. J'avais une vie familiale et professionnelle stables. Je n'avais guère d'illusions sur le monde littéraire. Cela m'a sans doute permis de relativiser les problèmes auxquels j'ai été confronté une fois lancé dans l'aventure. Je suis donc mal placé pour donner des conseils à qui que ce soit. Reste qu'il faut se méfier de la passion dans un monde où « l'action n'est pas la sœur du rêve », comme le disait déjà Baudelaire... et sans doute aussi Sénèque, bien avant lui.
* Thierry Maricourt (1960) est un chroniqueur littéraire, poète et écrivain français engagé. Il est aussi essayiste et romancier et s'inscrit dans le courant prolétarien. Sur la Scandinavie, il a publié, notamment, Histoires du pays sans beaucoup d'hommes (2003) et Voyages dans les lettres suédoises (2007)
Le catalogue complet des publications de l'Elan est disponible sur le site l'Elan.
Pour les passionnés, Denis Ballu a réalisé une bibliographie exceptionnelle et quasi-exhaustive des œuvres littéraires nordiques parues en français.