Je fais un rêve récurrent. Je marche le long d'une plage.
C'est par ces deux phrases que le lecteur entre dans l'univers haletant de « ». Alex, le personnage principal rend visite à son grand-père, Bob Mackay, dans sa maison de retraite et apprend que celui-ci est mort depuis un mois. Il récupère une petite boîte avec les effets personnels du défunt et, très vite, le train-train d'Alex vire au cauchemar : problèmes au boulot, tempête dans son couple, passage à tabac et bien pire encore. Alex est persuadé que le décès de son grand-père cache des événements plus louches, mais plus il cherche à les éclaircir et plus il s'embourbe.
Il semble perdre petit à petit tout contact avec la réalité qui était la sienne, quelques jours plus tôt.
Le lecteur, dont la curiosité est piquée dès les premières planches est aspiré par cet univers malsain et intrigant. Comme Alex, il veut comprendre qui est la mystérieuse jeune femme blonde à lunettes noires et où se trouve cette plage isolée qui hante les rêves du héros.
Il lui faudra dévorer cent soixante planches au découpage identiques (deux rangées de quatre cases verticales), dessinées en noir et blanc (et colorées d'une seule teinte brunâtre pour renforcer les jeux d'ombre), se laisser bercer par le rythme hypnotique du format inlassablement répété, pour trouver la réponse, à mi-chemin entre rêve et éveil.
Malaise et thriller
Difficile de lire « Sin Titulo » sans penser au magistral « Comme un gant de velours pris dans la fonte » de Daniel Clowes. En effet, les deux albums font subir à leur personnage principal une dérive cauchemardesque assez similaire, forçant le lecteur à pénétrer dans un monde à la fois glauque et triste, mais surtout complètement étrange. Si les deux titres s'appuient en outre sur un dessin assez classique en noir et blanc, proche de la ligne claire, c'est pour permettre une immersion totale et aisée dans un univers déroutant.
Les points communs s'arrêtent là, cependant, car le récit de « Sin Titulo » finit par contraindre le lecteur à franchir la frontière du fantastique, de manière à résoudre, voir à expliquer, la plupart des phénomènes perturbants qui se sont succédé. Daniel Clowes, pour sa part, s'était permis de préserver jusqu'au bout les mystères et les paradoxes, dont son gant de velours est tissé.
Final décevant
Stewart Cameron n'a pas la même audace scénaristique, il préfère prendre appui sur les ficelles formatées du scénario hollywoodien pour boucler son histoire. Pour ma part, j'ai été un peu déçu par cette solution de facilité. Le recours aux explications rationnelles (dans un monde pourtant irréel) et à la canonique opposition entre le bon et le méchant, le faible et la brute, a déjà été tant lue qu'elle est très usée. Et la scène finale où le héros puise en ses faiblesses accumulées une pugnacité quasi surhumaine, qui le mène à la victoire, et donc, à la résolution de ses problèmes personnels, est devenue si banale, si attendue, qu'on s'en veut un peu d'avoir été avalé par les cent-quarante planches qui la précèdent.
N'empêche, malgré son final stéréotypé et faiblard, « Sin Titulo » est l'un de ces trop rares albums qui donnent le vertige, mêlent angoisse et fascination pour contraindre le lecteur à tourner les pages sans s'arrêter. Ce serait dommage de passer à côté.