À Manhattan, Vincent Nolan vient de plaquer son cousin et l'ARM, le Mouvement pour les Droits Américains. Officiellement. Officieusement, on murmure plutôt quelque chose comme Mouvement pour la Race Aryenne. Un groupe de sympathisants néonazis un peu benêts, pas forcément violents, mais profondément haineux.
Dans un revirement total, Vincent, bras tatoués avec une croix gammée, entre autres, se rend à la World Brotherwood Watch, que Meier Maslow, un juif rescapé de l'Holocauste a fondée. Meier aussi est tatoué, avec un de ces numéros de série dont les soldats allemands gratifiaient les déportés. Meier a participé à la décision de Vincent : il a lu tous ses livres, il a changé. Il souhaite avant tout rompre avec son passé pour embrasser la mission de cette Fondation : lutter contre l'intolérance, aider des gars comme lui, à ne pas devenir des gars comme lui.
Comme il était.
Maslow verrait plutôt d'un bon oeil l'apparition d'un ancien skinhead au sein de la Brotherwood. Cela donnerait une image plus forte, un impact plus puissant, et dans l'immédiat, cela aiderait à vendre les places pour la soirée de charité. Pour l'heure, il reste encore trop de tickets disponibles : si Vincent intègre la Fondation, il pourra témoigner, dire qu'il a changé, qu'il continue de changer. Pour cela il faudrait un petit coup de pouce de la presse, un article dans le NY Times, par exemple.
Après, on verra.
Bonnie travaille pour Meier depuis des années. Vincent lui fait un peu peur, mais elle a confiance aveuglément en son patron. Il a ce halo, cette prestance qui la fascinent. Pourtant, quand Meier lui demande d'accueillir Vincent, elle sent la terre se dérober sous elle : un néonazi, chez elle, qui a fui l'ARM et dont les anciens petits copains doivent sûrement se dire qu'il leur manque. Et puis, elle a divorcé, son mari s'est recasé, et elle, non. Elle a la responsabilité de Dannie et de Max, ses deux fils.
Comment accepteront-ils la situation ?
Raymond lui n'a pas changé. Il est même plutôt furieux. Mais il ne tuera pas son cousin Vincent. En dépit de ce que ce dernier lui a fait. Il avait promis à la mère de ce salopard de prendre soin de son fils, alors comment pourrait-il flinguer ce petit enculé. Mais il va lui faire regretter sa trahison. Il l'a hébergé, tout de même, et l'a nourri. Alors, cet ingrat va sentir passer sa colère.
Une colère qu'il garde d'ordinaire pour les juifs, les autres. Les étrangers.
En mars 1999, sortait American History X. Un film qui racontait une histoire d'homme qui avait changé, lui aussi. Derek, dont le père fut abattu par un dealer noir, intègre un mouvement raciste extrême. Après un séjour en prison, il en ressort avec une conscience nouvelle et tente de convaincre son petit frère que la haine n'est pas une issue. En somme, l'espoir de voir la haine se changer en bonne volonté, et pétrir l'argile de l'homme est un thème délicat, mais qui dans Un homme changé, jouit d'un traitement aussi réussi que pour American History X. Voire plus.
Ce n'est pas l'action qui se déroule dans le livre dont on retirera le plus grand étonnement. Non, le vertige du texte provient de la multiplication des points de vue. Grosso modo, on tourne autour de sept / huit personnages, et Francine Prose, par une narration pointilleuse, nous plonge dans les pensées de chacun d'entre eux, avec le recul et la force de la focalisation omnisciente. Vertige, parce que l'on plonge dans les pensées, la peau, l'esprit de chacun, et que cette multiplication de visions du monde participe à répondre à : que suis-je ? Est-ce l'ensemble des regards qui se posent sur moi, qui me rendent vivant ? Comment suis-je moi sans autrui dans ce cas ?
La traduction est impeccable, et on ne peut que s'incliner devant le travail réalisé par Céline Schwaller, d'autant plus que l'on sent la difficulté à chaque page, de rendre le ton, la personnalité et les obsessions qui font de chaque personnage, une entité unique. L'intelligence du récit ne fera cependant pas oublier quelques longueurs durant lesquelles le lecteur sautera – c'est son droit – les pages incriminées. Et il ne perdra cependant pas le fil du récit, ce qui est d'autant plus appréciable.
Un homme changé ne parle pas simplement du racisme, de la haine ou de la violence. Vincent Nolan n'est pas un Jean-Baptiste converti qui prêchera la bonne parole. Il reste humain, violemment, parfois, et en oublie qu'il a changé. Parce qu'avant de devenir celui qu'on souhaite être, il faut parvenir à ce dépassement de soi. Pour devenir l'Homme changé, on passe obligatoirement par la chrysalide que l'Homme qui Veut changer.