Selon certaines informations recueillies par ActuaLitté, les modalités de monétisation de la numérisation sont gentiment tordues. Pour exemple, tout porte à croire que les ouvrages datant d'avant 1701 seront numérisés par Proquest. Or, dans le modèle économique mis en place, sur ensemble des 70000 oeuvres accessibles, seuls 5 % se retrouveront sur Gallica, le reste ses retrouvant dans une base payante. Le tout pendant 10 ans, et « 10 ans glissants » s'il vous plaît : chaque lot aura donc sa propre date de remise à disposition gratuite au public, indépendamment de l'impératif de base, rembourser le Grand Emprunt. Sans rire : des œuvres libres de droits, relevant du patrimoine culturel, qui seront commercialisées, sous prétexte de leur numérisation… parce qu'il faut bien rentabiliser le projet.
Il devrait en être de même avec certains enregistrements audio, dont seules 90 secondes d'enregistrements seront accessibles pour les internautes. Le reste de la piste audio devra donc être acheté, via « renvoi vers les plateformes de téléchargement ». Et dans une implacable logique commerciale, le tout se fera avec une prise de commission effectuée par BnF Partenariats. En somme, de quoi assurer le remboursement du grand emprunt, sur le très long terme, mais également de quoi dégager peut-être des bénéfices, sur le dos du contribuable… Et à qui seraient vendues les bases de données ? Aux autres bibliothèques de France, voire de Navarre… et pourquoi pas, celles du monde entier ? Selon nos informations, Believe serait l'opérateur sélectionné pour la numérisation audio. Quant aux écoutes plus que limitées, « C'est un peu plus qu'Amazon », constate-t-on, dans l'établissement, avec un sourire jaune.
Les contrats liant les sociétés prestataires et la BnF ne sont toutefois pas encore signés, bien que les offres soient retenues et que l'on en soit arrivé au stade où les prestataires sont engagés, au même titre que les personnels. Ainsi, les équipes de la BnF devront sortir les livres et autres documents pour les mettre à disposition, et les locaux réquisitionnés pour créer des ateliers de numérisation, ce qui provoque la colère des syndicats alors qu'en parallèle, il faut continuer de tourner fonds patrimonial.
Sans compter qu'il faudra également gérer très prochainement les oeuvres indisponibles, cette masse d'oeuvres endormies...
Mais attention, la BnF n'est pas chienne à mordre la main qui la nourrit. En effet, si la consultation de l'intégralité des documents, livres, audio, etc., sera bien limitée, la direction de l'établissement souhaite valoriser l'accès à son intranet, alias Gallica intra-muros. Ainsi, les fonds numérisés seraient accessibles, mais uniquement aux postes en rez-de-jardin et ce, pour faire remonter les statistiques de fréquentation du site internet. Le service a été mis en place en mars dernier, mais son usage final ne commence qu'à sortir de la brume...
Quelques mois d'écart donc, probablement avec l'espoir double que les chercheurs (du monde entier ?) reviennent dans l'établissement, mais, qui sait, que l'on puisse monétiser également l'audience et le trafic du site internet, avec des espaces publicitaires...
Hélas, mille fois hélas, la BnF ne répondra jamais à nos demandes d'entretien ni d'explications, comme si nous affichions en permanence le pavillon noir. Mais, démenti ou non, ce qui reste notable, c'est l'oubli – oserait-on écrire le mépris ? – pour les recommandations faites par le Comité des Sages, et ce alors même que leurs conseils entraient dans les critères de l'appel à partenariats. N'en rappelons qu'une phrase, qui trouve son démenti dans la politique menée par la BnF : «le matériel du domaine public numérisé avec de l'argent public devrait être accessible gratuitement pour tous ». Le conditionnel, vraiment...
Il faudra également se souvenir dans ces mêmes recommandations, l'accent était porté sur la publicité faite aux accords. « C'était le BA-ba que de rendre publics les accords, pour lutter contre l'obscurité qui a régné jusqu'à présent », commente un observateur. « D'autant plus que le Comité avait mis en avant que dans le cadre des partenariats autour du domaine public, il y avait une véritable mission d'intérêt public dans la mise en ligne et l'accès direct et immédiat aux documents. Tout le contraire de ce que projette la BnF. Enfin, si l'exclusivité commerciale existait bien, elle n'était pas aussi large que ce que souhaite mettre en place BnF Partenariats. » En effet, même un marin d'eau douce sait que 10 noeuds n'en valent pas 7... Sauf qu'ici, le compte est en années, avant de se traduire en € pour le public floué.
C'est qu'il n'est pas du tout prévu que l'on accède un jour ou l'autre à l'intégralité des documents numérisés, puisqu'il s'agit d'un projet commercial. Le prétexte du remboursement, celui d'un élargissement des ressources, ou tout autre expression langue de bois pourrait s'adapter avec bonheur à une extension de l'exclusivité de la BnF sur les documents. On a vu comme il était simple de s'arranger pour outrepasser les réticences d'un ministre...
Une situation malheureuse, alors qu'en l'état, la BnF se retrouvait comme le dernier établissement à ne pas avoir signé avec Google pour la numérisation des oeuvres, et aurait probablement pu se retrouver en position de force pour négocier. Les conditions n'auraient pas été idéales, certes, mais selon certains experts, assurément bien meilleures que celles que l'établissement projet de mettre en place pour assurer la rentabilité d'une telle entreprise.
Ce qui pose plus encore la question du renouvellement, à son poste, de Bruno Racine : si ce dernier ne conserve pas le statut de président de la BnF, tout porte à croire qu'il ne pourrait pas obtenir la place de choix qui reviendrait au sein de BnF Partenariats, dont il est déjà le Président en plus d'une place au comité stratégique de la structure. Et surtout, que son remplaçant se retrouverait avec un bébé, et l'eau croupie du bain, que n'importe qui balancerait par la fenêtre, en toute logique.
Voir l'épisode précédent de la saga Actualeaks
BnF cherche partenaire et argent désespérément (5)