Ce qui surprend sans doute le plus dans ce roman, c'est l'absence de distance entre l'histoire et celui qui la raconte, propre à immerger le lecteur dans une atmosphère et un univers particuliers, ceux de l'adolescence, de manière abrupte et spontanée.
Sans chercher à expliquer, justifier ou même excuser, au risque d'agacer, d'ennuyer, de choquer ou de ne pas être compris, , (17 ans au moment où il écrit ce livre) à travers son personnage Jasper, dépeint son quotidien d'ado de classe moyenne, la vacuité de l'existence, les actes répétés et futiles, l'immobilisme et l'errance, l'immaturité et la cruauté, l'absence d'idéal ou de rêve. Demain n'existe pas et aujourd'hui est triste à mourir.
Entre autodestruction et angoisse, indifférence et égoïsme, Jasper ne sombre jamais totalement dans une désespérance sans fond mais indispose, fatigue le lecteur par moments et l'éloigne du récit. Mais, pourtant, à d'autres moments, l'humour et la tendresse, la sensibilité et la profonde fragilité du personnage interpellent et raccrochent aux mots, désemparent finalement plus qu'ils ne lassent. La bienveillance prime alors sur la déception.
Jasper Wolf a 17 ans, suit une thérapie (dont il se moque) depuis qu'il a tué un chat avec violence. Persuadé que son beau-père est un criminel, il tente, avec son amie, Tenaya, de le faire inculper pour le meurtre de son ex-femme. En dehors de cette motivation, il traîne une nonchalance et une inappétence pour l'existence, assez semblables à celles de ses amis.
"La fête se passera bien. Ce qui signifie baiser, me saouler et prendre assez de drogues pour ressentir les effets décrits par M.Gates en cours de prévention contre la prise de stupéfiants."
Tromper l'ennui en faisant la fête, en usant de drogues et d'alcool, de films porno, en goûtant aux plaisirs sexuels sans lendemain et sans amour ; voilà, en apparence, l'ordinaire d'une bande d'ados en quête d'elle-même, ni plus désemparée ni moins privilégiée que d'autres, juste indécise et confuse face à l'avenir, encore hésitante à devenir adulte et pourtant indéniablement extirpée de l'enfance.
Un entre-deux bancal et anxiogène, morne et frivole, désenchanté et frelaté, saisi avec une sincérité méritoire, assez inédite pour intéresser, émouvoir et questionner.
Révélateur sans fard d'un moment particulier de l'existence humaine dans nos sociétés occidentales modernes, ce roman, s'il semble parfois manquer d'intensité narrative, paraître répétitif, ne l'est peut-être d'ailleurs qu'à travers le regard distancié du lecteur adulte. Il est fort probable qu'il résonne différemment et avec plus d'ardeur chez le jeune lecteur. Et pour cela, il est estimable, nécessaire et touchant.