« Un livre culte dans le monde entier », selon Robert Laffont, s’ils le disent. Reste que ce court roman SF à l’ancienne, paru en 1967, est traduit pour la première fois en français par Catherine Renaud, il avait donc échappé aux savants hexagonaux du genre.
Le Danois Sven Holm, son auteur, n’est lui pas un spécialiste du genre : notamment dramaturge, ses textes, nombreux, ont souvent pour thème le conflit entre la liberté individuelle et les rôles sociaux. Le troisième de ses ouvrages, Termush, ne déroge pas à la règle, qui lorgne plus du côté de Ray Bradbury que de Starship Troopers…
Des hommes et des femmes, à l’ancien revenu élevé, se sont réunis dans un hôtel refuge et luxueux, après « la catastrophe ». Indéfinie, du nucléaire dans l'affaire, l’après ressemble à l’avant : quand ils sortent dans le jardin, aucune table en bois transformée en une masse spongieuse, ni tissus aussi rigides que des plaques d'acier, ni molécules de l’air tranchantes comme du cristal, ni altération de leur peau et autres dents ou globes oculaires, qui tombent comme du chewing gum sur le bitume ou la terre battue.
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À l’horizon, l'océan Atlantique est resté bleu, la terre brune et les cactus verts. Parfait pour une adaptation filmique en 1968, sans les images numériques ni nécessité de gros plans sur des décors miniatures. L'Invasion des profanateurs de sépultures de 1956, signé de l’important Don Siegel, fut la preuve que l’on peut réaliser un chef d'œuvre de la SF sans une once de technologie. Tout dans une atmosphère paranoïaque.
Termush ressemble au film au nom à coucher dehors de ce côté-là : rien de spectaculaire, et même de l’anti-spectaculaire, et un message qu’on ne découvrira qu’à la toute fin. Dans ce terminus du monde, l'ancien professeur d’université qui sert de narrateur vit au rythme des alarmes enclenchés par un radiamètre aux résultats trop élevés, et des consignes d’une direction invisible, rendue réelle par les haut-parleurs et les employés.
Un jour, on retrouve dans l’hôtel quatre inconnus aux plaies purulentes. On ne pourra pas les garder, mais il est dans leur devoir d’au moins les soigner…
Le narrateur est notre œil naïf, cet homme de peu d’action, qui petit à petit arrête d’observer pour intervenir sur cette situation étrange et de plus en plus angoissante. Un topos du genre. La conjoncture va en s'empirant, et les plus intuitifs des hôtes sentent plus précocement la menace... Lorsqu’elle arrive, elle est racontée d’une voix blanche, et on entend cette voix-off des vieux films du genre, de L'Homme qui rétrécit à Planète interdite.
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On l’apprendra à personne : les meilleures oeuvres SF constituent autant des métaphores politiques ou philosophiques, que des divertissements. Termush sans trop spoiler, peut être lue comme la métaphore d'un Occident riche et trop généreux, qui se perd dans ses bons sentiments. Dit autrement, des angoisses zemmouriennes…
Il y a le médecin idéaliste qui, jusqu’à la chute, maintiendra ses idéaux d’altruisme et d’assistance, et longtemps se voilera la face. La masse des hôtes tiraillée entre leur instinct de survie - ou synonyme leur égoïsme -, et le respect des règles héritées de leurs anciennes éducations. La pleutre bourgeoisie veut bien se sauver en sacrifiant les inférieurs, mais en préservant les bonnes manières, le rituel, le protocole. (cf. Boule de Suif) Faut-il mourir avec ses idéaux, tirés de la morale chrétienne, ou favoriser sa sécurité à tout prix ?
Ce court roman raconte encore ce brouillage produit par le groupe, l’inertie qu’il provoque dans chaque individualité mise sous la tutelle d’une autorité, ici invisible et peu loquace sur les raisons de ses choix. Les « enfants de la République » pour les petits français par exemple, il faut bien entendre...
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Enfin, la réussite d’une œuvre de SF passe par des moments comme celui-ci : les chambres de Termush ont été aménagées pour ressembler à des chambres d’hôtes. Un jour, le narrateur, en fixant le mur, prend conscience de l’étrangeté de cette normalité. Une véritable Metanoïa.
Le lecteur de ce court roman, lui, doute de tout, et jusqu’au bout, alors que l’apparente normalité n’aura rien laissé transparaître de son caractère douteux, dira-t-on.
Un texte à découvrir pour le plaisir suranné de cette ancienne science-fiction sans grandiloquence ni décors stylisés, où tout est investi dans le petit pas de côté de l’étrange. Ce sentiment devant un robot au visage quasi humain, un regard suspect dans la rue, qui anime l’imagination.