Pour son premier livre publié en France, Bayard frappe fort, il faut le dire immédiatement. Très fort. Ce bouquin est une perle. Un peu volumineuse, mais une perle.
Dans l’académie de West Point, un étudiant, cœur arraché, pendu ça fait désordre. Et très vite, les officiers comprennent qu’il faudrait mettre un nom sur le responsable de ces crimes. Pendant ce temps Gus Landor mène une vie paisible de détective retraité. Et perturbant ce calme, l’académie va s’immiscer dans sa vie : on lui confie la responsabilité de démasquer le coupable au plus tôt. Parce qu’en haut lieu, on ne tient pas encore l’académie en odeur de sainteté. Une publicité de ce genre ne manquerait pas de condamner définitivement son sort.
Face au milieu très… docile des apprentis officiers, Gus va rencontrer Edgar Poe, un soldat poète, plus enivré par l’épique que les lances. Cet assistant fantasque sera les oreilles et les yeux du détective interdit de séjourner seul dans l’enceinte de l’académie, et de fouiner correctement. L’élève et le détective avancent dans une confusion d’indices très minces et de coopération de la part des résidents de l’académie.
Et surtout, tout s’emballe lorsqu’un second crime est commis, dans des circonstances similaires… Un tueur en série mène-t-il le bal, riant à la barbe des officiers ?
Inutile de vous en raconter plus, le risque serait trop grand de tomber dans un résumé qui dénaturerait l’œuvre. Non. Je vais plutôt vous détailler à quel point il s’agit d’un ouvrage à recommander, à prescrire, à préconiser, bref, pointez-vous illico avec une ordonnance auprès de votre libraire préféré…
Commençons par son plus gros défaut : la résolution est très rapide. Non que cela dérange, au contraire, cette accélération du rythme à la fin du livre domine l’enquête. C’est un point d’orgue somptueux, un retournement de situation épatant. Du grand art. Simplement, on n’a rien pour le démasquer, nous. Et ça, c’est toujours un peu désagréable.
Enfin, ça ne perturbera personne. Au contraire. Tout le texte s’articule autour de récits : ceux de Gus, et ceux d’Edgar, sous la forme de narration d’événements ou de lettres, de rapport, etc. Différents narrateurs, donc, qui donnent de la voix et de la chaleur. Deux personnalités fortement marquées dont les paroles et les points de vue se succèdent, auxquelles on s’attache très vite…
Landor, père et mari, a perdu les deux femmes de sa vie. Et il n’a pas abandonné sa carrière de policier indemne. De son côté, le jeune Poe vit brimé dans cette académie. Aspirant à un avenir comme celui de Byron, il vit dans ses poèmes que lui dicte sa mère… morte plusieurs années auparavant. Et tous deux, forgés par leurs malheurs respectifs, vont s’enfoncer dans les sociétés qui gravitent autour de l’académie. Qu’elles soient composées des notables, parents des élèves ou secrètes et satanistes, gouvernées par ces mêmes élèves.
Convaincu donc, et bien plus encore que l’aventure est passionnante. L’enquête piétine, revient, repart, tombe dans un cul-de-sac formidable, et les allers-retours se multiplient tandis que le meurtrier se joue d’eux. À la façon de la Lettre volée de Poe, justement, l’évidence crèvera les yeux au point de rendre tout un chacun aveugle, et cela, c’est au talent de Louis Bayard qu’on le doit. Et tout autant à la traduction de Jean-Luc Piningre qui s’est arraché pour rendre un texte qui coule, fluide et obsédant.
Pas vraiment un roman historique, bien plus qu’un simple polar, Un œil bleu pâle va vous accaparer au point de ne plus penser qu’à lui. Et l’on goûtera avec un réel plaisir aux passages racontés par Poe, tout empreints de lyrisme et de poésie…
On frissonne, on s’amuse, voire on rit même quand l’heure n’est pas toujours au rire. C’est l’évidence même, Louis Bayard a réalisé un livre intelligent au possible, qui vous mène en bateau d’un bout à l’autre, et ce n’est qu’une fois repu de notre confusion qu’il nous accorde un indice. Mais rien n’assure que ce dernier deviendra une piste portant des fruits… Poe, ici présent peut être fier.
À découvrir de toute urgence…