« Et je m'en vais au vent mauvais qui m'emporte deçà delà, pareil à la feuille morte... » Après sept ans passés derrière les barreaux d'une cellule, Abel a tout de la feuille morte. Desséché, et si léger que le plus petit souffle de vent risque de le balayer loin, très loin...
chronique BD avec BDfugue
Tel est le début d'un livre singulier de Rascal et Thierry Murat : (Futuropolis) ; Un livre aussi débordant de mélancolie que le poème de Verlaine. Le peu d'argent gagné en prison, Abel le dépense pour s'habiller correctement. Puis il se dirige d'un pas tranquille vers une friche industrielle, et plus précisément vers une usine désaffectée où se trouve planqué l'argent d'un casse.
De quoi changer de vie, repartir à zéro. Mais le quartier a bien changé : les hangars sont désormais des lofts coûteux et l'usine... un musée d'art moderne ! Hanté par la vision de son magot coulé dans le béton, Abel s'effondre sur une banquette, perdu dans la contemplation d'un tableau de Magritte qui semble le renvoyer au vide de son existence. C'est l'impasse totale : même les gardiens du musée ont une ressemblance troublante avec des matons.
Une sonnerie de portable le sort de son engourdissement : la propriétaire dudit portable se réjouit qu'il soit retrouvé, car il a une grande valeur sentimentale. Peut-on lui envoyer par courrier, à son adresse en Italie ? La voix est charmante, latine de surcroît, et même le choix de la sonnerie - les "Variations Goldberg" de Johann Sebastian Bach - est judicieux !!!
Abel sent une petite flamme se rallumer au fond de lui, celle du désir et de l'appétit de vivre. Il promet. Mais au bureau de poste, il y a la queue. Ni une, ni deux, il vole une voiture dont le chauffeur se ravitaille en cigarettes au tabac du coin. Direction l'Italie, pour remettre le téléphone en mains propres à la belle, en profiter pour voir le soleil, la mer, et peut-être plus si affinités...
Au vent mauvais,
Thierry Murat et Rascal
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En voyage, on peut faire des rencontres, et elles commencent lorsqu'Abel jette un œil dans le rétroviseur : sur la banquette arrière se trouve un bon gros chien qui lui rappelle sa jeunesse pas bien gaie, à cause d'une mère décédée en couches et d'un père rongé par le chagrin et le cancer… Peu après, une crevaison l'amène à prendre en stop un gamin fugueur... et débrouillard : l'argent piqué dans la caisse de son beau-père garagiste permet de continuer le voyage jusqu'à la mer, que le petit n'a jamais vu.
Les SMS reçus sur le portable rythment le road-movie et en apprennent plus à Abel sur la belle inconnue... La batterie du téléphone rend l'âme lorsqu'Abel arrive à destination, un petit village d'Italie. Mais là...
Construit presque entièrement en voix off, une voix dont on imagine le ton monocorde, ce récit est une lente introspection. Par touches successives, une personnalité se dévoile en évoquant son passé, qui trouve une résonnance dans ce qu'il vit au présent. Les cases de l'album sont autant d'images arrêtées, banales et hypnotiques. Les couleurs ternes et uniformes...
Ce dépouillement lourd de sens fait naître dans l'esprit du lecteur un sentiment de nostalgie absolument poignant, qui me touche beaucoup. Un livre remarquable !!!