Le retour de Casanova
"Il était plus de minuit quand, après avoir brièvement pris congé de ses nouvelles connaissances, Casanova traversa seul la vaste place déserte sur laquelle pesait un ciel lumineux et sans étoiles. Guidé par une sorte d'instinct, comme un somnambule, et sans avoir bien conscience qu'il refaisait ce chemin pour la première fois depuis un quart de siècle, il se dirigea vers sa sordide auberge, par d'étroites ruelles, entre des murs sombres, et en franchissant des passerelles sous lesquelles des canaux noirâtres coulaient vers les eaux éternelles. Il dut frapper plusieurs fois pour se faire ouvrir la porte peu hospitalière. Quelques minutes après, dans sa chambre, une fatigue douloureuse engourdissait tous ses membres sans les détendre ; il sentait un arrière-goût amer monter du plus profond de son être jusqu'à ses lèvres. Enfin, encore à moitié habillé, il se jeta sur son mauvais lit pour y chercher, après vingt-cinq années d'exil, le premier sommeil dans sa ville natale, ce sommeil si longtemps désiré, qui, profond et sans rêves, finit, vers le point du jour, par avoir pitié du vieil aventurier." – Arthur Schnitzler.
04/2024