est régulièrement sollicité pour « étudier avec religiosité » les trépassés que les frères du couvent lui confient, à lui, le sculpteur aux mains si agiles pour « disséquer » ces corps dont l'âme s'est enfuie.
Mais, ce matin là, Michelangelo n'aura pas le courage d'ouvrir ce corps qu'il a reconnu comme étant celui d'Andrea, ce frère avec lequel il a seulement échangé une fois quelques mots mais qui, à chaque fois qu'il apparaissait, portant un linceul avec deux autres frères, provoquait en lui une irrépressible envie de regarder son corps qu'il imagine parfait. Ce corps qu'il ne reverra plus vivant et qu'il n'a pas pu regarder mort.
Alors, en cette fin de printemps 1505, Michelangelo s'enfuit précipitamment à Carrare, dans les carrières d'où s'extrait ce marbre merveilleux qu'il sent, touche et sculpte magnifiquement comme s'il sentait, en observant les blocs juste dégrossis, les veines de la pierre, pareilles aux veines des corps qui vont prendre forme sous les coups de son marteau et de son burin.
Il s'enfuit pour oublier Andrea en voulant s'épuiser dans le travail de choix des blocs qu'il va utiliser pour réaliser le tombeau que le Pape lui a commandé.
Au milieu des carriers qui voient en lui un étranger, Michelangelo aura bien du mal à vaincre leurs appréhensions à son égard. Même si Topolino, Caballino ou encore Michele, le petit, dernier de Giovanni dont la femme Suzanna vient de mourir en couches, dans des registres bien différentes, lui ouvriront le cœur aux autres.
Ce livre est une surprise pour de nombreuses raisons.
Pour la qualité d'une histoire superbement racontée par Léonor de RECONDO. Avec finesse et doigté (mais faut-il s'en étonner quand on aura appris qu'entre autres choses, l'auteur maîtrise aussi le violon et la musique baroque), elle dépeint les tourments d'un homme brisé par une mort qui l'a atteint au tréfonds de l'âme.
Pour le voyage ultime réalisé aux côtés de l'immense Michelangelo Buonarrotti entre souvenirs, rêves et réalité, au milieu de ces pierres et de ces hommes et femmes ancrés à la montagne de marbre.
Pour avoir découvert une autre (et parfaitement inconnue de moi) des facettes de l'art du grand Michel Ange qui taille au scalpel dans les corps et au burin dans le marbre.
Pour cette plongée dans le village de Carrare parmi ces carriers qui trouvent la vie et la mort en extrayant de la montagne un marbre que celle ci ne leur donne pas gratuitement. Une vie dure qui endurcit les hommes mais forge leur destin commun et anoblit leur art. Une communauté soudée qui n'accepte pas l'intrus, qui n'accepte pas l'intrusion mais qui n'est pas imperméable à toute connaissance ou reconnaissance de l'autre.
Pour ce chemin parcouru avec Caballino qui sait mieux parler aux animaux qu'aux hommes.
Pour ce chemin parcouru vers Michele par un homme d'abord trop coupé de sa propre enfance pour accepter près de lui cette vie en devenir, en quête, en admiration avide d'apprendre, en permanente sollicitation pour obtenir une aide pour grandir.
Pareils à de petits mouvements d'une large partition qui oscille entre lenteur et vivacité, les chapitres du livre égrènent une profonde évolution du maître qui participe, et ce n'est pas douteux, au génie qui transpire de ses œuvre parvenues jusqu'à nous.
Nul doute que musique, sculpture et écriture ont été mêlées avec art, avec finesse et avec sensibilité.
A lire d'une traite.