Il y a quelques mois, l'UNESCO présentait un important rapport sur la lecture dans les pays en développement. Là où les livres papier sont difficiles d'accès, en raison des conditions géographiques, ou inabordables financièrement, la lecture sur mobile est devenue un moyen de combattre l'illettrisme. Mais les contenus manquent, et l'UNESCO cherche à convaincre les sociétés privées d'investir.
Mark West, chef de projet à l'UNESCO, à Francfort (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Les chiffres donnent le tournis, et l'UNESCO ne peut que dresser le constat du travail à effectuer : dans le monde, 774 millions de personnes n'ont pas accès à la lecture et à l'écriture, soit « pour donner un aperçu plus concret, 2 fois la population des États-Unis », souligne Mark West, responsable des projets au sein de l'UNESCO.
Il n'y a par ailleurs que peu de raisons de se réjouir : malgré l'apparition de moyens facilitant l'accès aux textes, le fossé ne fait que s'étendre : l'Afrique subsaharienne compte ainsi 37 % d'individus illettrés supplémentaires, par rapport à 1990. La population augmente, et le taux d'analphabétisme également, dans des régions comme l'Afrique subsaharienne ou l'Asie du Sud-Est. L'illettrisme touche particulièrement les femmes.
Le livre papier, dans ces régions du monde, est une denrée rare : quand il survit aux conditions de transport et de conservation, il est bien souvent obsolète. Les manuels scolaires sont dépassés, généralement chers, et parfois même dans une autre langue que celle des écoliers auxquels ils sont proposés.
« J'étais en Éthiopie il y a quelques semaines », raconte Mark West : « Je voyageais avec un homme du pays, qui était capable de nommer tous les oiseaux, alors que nous marchions. Je lui ai demandé où il avait appris à reconnaître toutes ces espèces, et il m'a dit qu'il y a quelques années, un touriste allemand lui avait donné un livre en anglais sur les oiseaux d'Éthiopie. C'était son seul livre, et il l'a appris par cœur. Aujourd'hui, sa connaissance des oiseaux est devenue le moyen de gagner sa vie : il guide les touristes intéressés par l'ornithologie. »
La lecture sur mobile, opportunité de développement et d'investissement
Pour les habitants des pays concernés, la lecture constitue donc une véritable opportunité de développement, et de création d'emplois. Sans parler de l'éducation, et des bénéfices qui découleraient d'un accès plus large au matériel pédagogique. L'usage des mobiles est particulièrement répandu au sein des populations, mais son usage pour la lecture pourrait être amélioré.
Ainsi, les femmes possédant un mobile, pour des raisons souvent culturelles, ne l'utilisent que pour être contactées, et non pour d'autres usages, explique Mark West. Celles qui l'utilisent pour la lecture sont les plus consommatrices en la matière, et comptent pour 66 % des lecteurs les plus avides sur mobile. Le rapport s'est construit avec des sondages, des entretiens et une collecte des données, fournie par WorldReader, une application de lecture sur mobile.
Cette dernière est l'une des plus utilisées dans les pays en développement, même si d'autres solutions existent. Elle est utilisable sur smartphone, mais s'adapte également à des portables plus simples, ne disposant que d'une faible capacité de stockage et d'affichage. L'application propose un accès à des contenus libres de droits, en majorité, et sous copyright.
Plusieurs pistes sont évoquées par l'UNESCO pour étendre l'utilisation et l'efficacité de WorldReader, avec lequel elle collabore régulièrement : d'abord, l'application est uniquement tournée vers un public adulte, et la classification des livres est encore défaillante. Or, parmi les personnes lectrices sur mobile et interrogées, par l'UNESCO, un tiers utilise ce moyen pour faire la lecture aux enfants. L'ajout de nouveaux contenus permettrait d'intensifier cet usage, et d'habituer les plus jeunes à la lecture.
Par ailleurs, l'application est gratuite, tout comme son accès : « Les ouvrages proposés par l'application sont donc en majorité libres de droits, et les contenus manquent en la matière, particulièrement dans le secteur des manuels », explique Mark West. Et les MOOCs, cours en ligne ouvert, ne constituent pas une solution, puisqu'ils nécessitent un ordinateur pour être affiché, ou a minima un smartphone.
Évidemment, la qualité de la connexion reste un souci : si 96 % du globe a accès à Internet, les débits varient, tout comme la fiabilité de la connexion. Pour des raisons inhérentes au piratage, WorldReader fonctionne sur un modèle de streaming, et une rupture de connexion empêche de poursuivre la lecture. « Nous allons tenter de développer une fonctionnalité pour qu'il soit possible de télécharger les livres libres de droits, tandis que ceux sous copyright resteront en streaming. »
Auprès des habitants, l'UNESCO exécute un travail de sensibilisation, en expliquant que l'accès aux livres, qui génère un faible transfert de données, n'est pas cher, même pour des bas salaires (le prix de la connexion est sensiblement le même qu'en Occident). Afin d'inciter à la lecture, l'application s'est dotée d'une section « My Level » (« Mon niveau »), qui classe les livres selon les possibilités du lecteur. Mais la seule catégorie « Débutant » ne contient que peu de livres, ce qui a généré un retour de bâton inattendu...
Pour les contenus pédagogiques, l'UNESCO espère convaincre les gouvernements des pays de payer la création de contenus spécifiques, sans copyright. L'organisation travaille actuellement à améliorer l'application, avec des nouvelles fonctionnalités pour sélectionner les livres, et espère que le rapport « Lire à l'ère du mobile » permettra d'attirer les investissements des sociétés privées.
« Car les populations ont une véritable envie d'accéder aux textes. J'ai vu des gens lire 10 livres par mois sur un écran monochrome, où 4 lignes de texte seulement peuvent être affichées » témoigne Mark West.
Rapport de l'Unesco, 'Lire à l'ère du mobile' by ActuaLitté