Thierry Sauvage, lieutenant de la police de Soissons et héros récurrent des romans a suffisamment d'humour et de charisme pour retenir le lecteur au-delà même de l'enquête. Ni loser ni buveur invétéré, la quarantaine plutôt séduisante, un brin dilettante mais perspicace malgré tout, il compose avec Joana Sénéchal, son énergique et athlétique collègue, un duo efficace et tonique, "Ils étaient complémentaires, indissociables. Le Yin et le Yang. La roue et l'essieu", enlevé et convaincant capable de maintenir une lecture pleine de rythme et d'intérêt de bout en bout. Une tonalité assez joyeuse et légère finalement, plutôt divertissante même si plusieurs meurtres assez violents secouent la campagne de Soissons.
Un apiculteur amateur d'origine kabyle est retrouvé mort, une ruche sur la tête puis rapidement vient le tour d'un autre, un médecin retraité, tué par des abeilles. Des lettres anonymes, des ruchettes contenant une abeille morte adressées aux victimes laissent redouter une affaire de crimes en série. Qui donc pourrait en vouloir à la communauté d'apiculteurs ? Les frères Fuch, agriculteurs, "les vieux garçons du Chemin des Dames, les siamois du colza", grands utilisateurs de pesticides, eux-mêmes exterminateurs des abeilles ?
Secondé par Philippe, médecin légiste, Cyrielle, fille et femme d'apiculteurs, Fanny, entomologiste et spécialiste des abeilles, le duo étudie la société animale pour tenter de saisir le mode opératoire du meurtrier, assurément fin connaisseur lui-même des abeilles et progresse finalement assez rapidement , en déjouant tout de même quelques fausses pistes, vers la résolution de l'enquête.
Moins convaincante que l'ensemble du roman, la fin, assez peu vraisemblable, n'ôte pourtant pas à l'histoire sa vitalité et sa bonne humeur et garantit au lecteur un moment de plaisir, mais certainement plus par la proximité et la force des personnages que par le suspense ou les quelques rebondissements, assez prévisibles d'ailleurs.
"Une notable irritabilité, une bonne dose de mauvaise foi et une tendance à la paresse intellectuelle."
Empêtré dans ses histoires familiales et ses gardes d'enfants, plutôt mauvais père, compagnon macho, parfois carrément grossier, Thierry Sauvage, amuse par son anticonformisme, son absence de moralité, son ironie mordante à l'égard, par exemple du milieu enseignant où évolue son ex-femme, altermondialiste de surcroît. Absolument détestable parfois, avec Valérie, sa nouvelle compagne ou Léa, une autre collègue de travail, tout en excès et en dérision, il offre à l'histoire une vitalité réjouissante, un effet de mouvement constant.
Difficile de s'ennuyer avec un tel personnage dont le sens de la répartie détonne, donne du punch à l'ensemble, fait souvent sourire.
De plus, l'air de rien, sans jamais oublier de divertir, ce roman, par l'intérêt qu'il porte aux abeilles et aux menaces de leur disparition (des pesticides au frelon asiatique), par les nombreux détails scientifiques passionnants qu'il délivre sur ce sujet d'actualité (l'auteur est également vétérinaire), interpelle également le lecteur, le questionne en matière d'écologie et de préservation de l'environnement, éveille sa curiosité.
Ainsi, peu importe alors le mobile des crimes.
Il y a suffisamment de plaisir à prendre chez les personnages et le comportement particulier des abeilles pour accepter un dénouement saugrenu, d'une tonalité tellement détachée que tout effet tragique disparaît.
Chez Elisa Vix, c'est certain, on s'amuse plus qu'on ne frémit ou palpite!