Beslan, Ossétie du Nord, 3 septembre 2004, jour de rentrée scolaire et jour de fête. Une prise d'otages dans un gymnase va entraîner la mort de trois cent trente et une personnes, dont cent quatre-vingt-six enfants. C'est cet événement, que nul n'a pu oublier, qui sert de toile de fond au nouveau roman de .
Loin de raconter en détail cet acte de terrorisme, l'auteur choisit de se placer à hauteur d'enfant, plus précisément d'une petite fille, Anushka. Elle pénètre ses pensées intimes et livre un récit à la première personne éblouissant, à la fois digne et bouleversant, tout en retenue, pénétré d'une innocence naturelle comme d'une lucidité extraordinaire, d'une force poétique si intense et sensible, qu'il place rapidement, comme par mimétisme, le lecteur en souffrance, enfermé lui-même, suffocant à son tour lorsque la chaleur devient insupportable et l'air irrespirable, tout imprégné d'une saleté poisseuse. "L'odeur est horrible, et remuer de l'air aussi infect, c'est pire que tout. Il vaut mieux bouger le moins possible, respirer à peine , ou alors avoir le nez entre les genoux, pour sentir l'odeur de sa propre peau."
A la lecture des mots de l'enfant, à travers la description de sa douleur et de son angoisse, dans ses rêves d'évasion, dans les extraits de contes populaires qu'elle égrène sans relâche, il est là, tout proche, collé à elle, sent ce petit corps suant et fébrile, déshydraté, prêt à lâcher, l'accompagne délicatement jusqu'aux dernières pages et referme le livre, complètement chaviré, partagé entre sa peine et son admiration.
Anushka est une petite fille volubile. Les phrases courtes défilent à vive allure, respirent sa joie de vivre, l'amour et la tendresse qu'elle porte à son grand-père qui la mène à l'école ce matin-là et à son amie Miléna. Des bruits de pétards qui sont en fait des tirs de mitraillettes cassent net l'ambiance joyeuse et la douceur des premières pages. Peu à peu, le rythme va ralentir, se morceler, s'assécher.
Tout s'assombrit autour d'Anushka mais la fillette résiste et ce récit, malgré la tragédie qui s'annonce, semble lumineux de bout en bout, attentif à la douceur des choses, porté par les rêves et les histoires ravivés par les souvenirs, comme des échappatoires nécessaires, salvatrices, pour ne pas flancher face au moment présent, supporter les pleurs et gémissements des plus petits, combattre l'envie de faire pipi ou de boire, l'envie de pleurer, de crier sa peur.
Tout ce qui éloigne du gymnase oppressant et malodorant rassure la fillette. "Il faut que je me concentre sur quelque chose de précis pour ne pas penser à tout ce qui s'est passé aujourd'hui, à tout ce qui me fait peur. Pour ne pas regarder ces boîtes suspendues avec du sparadrap. Ou les pédales sous les pieds des terroristes."
Elle fixe son attention sur chaque détail, une ampoule au plafond, ses chaussures, le chouchou de la fille d'en face ; pense constamment à son grand-père, cherche chaque souvenir capable de l'emmener plus loin, comme l'énumération rigoureuse des ingrédients d'une recette, le sac plastique pour aller à la piscine, le repas qu'elle a pris avant de se rende à l'école, etc., ravive des peurs anciennes pour éviter la panique, trouve des subterfuges pour calmer la soif et l'odeur. Combat de toutes ses forces. Jusqu'à l'épuisement. Jusqu'à l'assaut des Russes. "Je m'enfonce, je m'englue […] Je m'enfonce dans le mou. Je tombe".
A travers ce roman Sophie Van der Linden exprime la spontanéité d'Anushka, sa simplicité, son absolue sincérité, avec une justesse troublante, très sensitive. Le livre, en effet, semble respirer lui-même, ne plus contenir que le souffle de la fillette, se confondre avec.