Ce matin, Amazon était particulièrement heureux d'annoncer l'arrivée du service de lecture illimitée par abonnement, Kindle Unlimited, en Espagne et en Italie. Contrairement aux prévisions d'Amazon, le service Unlimited n'est toujours pas disponible en France, suite à des négociations plus difficiles que prévu. Le distributeur numérique Immatériel a même prévenu ses clients : traiter avec Kindle Unlimited reviendrait à se tirer une balle dans le pied, voire pire.
La guerre des tranchées d'Amazon, plus ardue que prévu
(Tambako The Jaguar, CC BY-ND 2.0)
Le service Kindle Unlimited, dès son lancement aux États-Unis en juillet dernier, mettait en avant un imposant catalogue : 700.000 titres, accessibles contre un abonnement dérisoire à 9,99 $ par mois. Cependant, ce catalogue à rallonge était essentiellement constitué par des titres autopubliés, Amazon proposant une rémunération avantageuse aux auteurs indépendants.
Les éditeurs, de leur côté, n'ont pas ouvert les vannes en grand, craignant un phénomène de cannibalisation des ventes à l'unité, et donc une baisse de leurs revenus. Amazon a néanmoins poursuivi le développement de Kindle Unlimited, avec des mises en service au Royaume-Uni, et en Espagne ou en Italie.
Mais la même frilosité des éditeurs s'est imposée un peu partout : sur les 700.000 titres toujours avancés par le service pour convaincre les consommateurs, seuls 25.000 sont disponibles en langue espagnole, et 15.000 en italien. Autrement dit, seuls les lecteurs anglophones disposent vraiment d'une offre intéressante avec Kindle Unlimited, par rapport aux autres services de lecture illimitée par abonnement.
Des négociations difficiles en France
Dans les semaines qui ont précédé la mise en ligne du service Kindle Unlimited, Amazon avait déjà commencé à démarcher les éditeurs et les distributeurs. En juillet dernier, la firme américaine imaginait même pouvoir proposer le service à la rentrée en France, comme dans le reste de l'Europe, visiblement. Le problème, c'est que les négociations ne se sont pas passées aussi bien que prévu, du moins dans l'Hexagone : la masse critique de livres numériques disponibles pour le lancement du service n'était pas atteinte – peu ou prou, 25.000 titres, en fonction des estimations.
Selon nos informations, le distributeur Immatériel, qui compte entre 450 et 600 éditeurs traditionnels ou pure-players, vient d'informer que les négociations avec la société américaine ne passeraient pas par lui. La raison est très simple : le modèle d'Amazon, loin de créer un nouveau marché, va tout bonnement cannibaliser les ventes à l'unité.
Le distributeur numérique fait un calcul simple, arrivant à une perte de plus de 40 % des revenus pour l'éditeur, quand un ouvrage est consommé avec le service d'abonnement illimité, par rapport à une vente unitaire. Or, le taux de transformation des clients qui s'essayent à l'offre de 30 jours gratuits et décident de souscrire à l'offre payante, incite à considérer que les clients préféront ce mode de consommation – avec pour conséquence immédiate, une perte financière pour les éditeurs, et donc les auteurs.
Mais Immatériel ne place pas tout le monde dans le même panier. D'une part, comme on le sait, les méthodes de calcul de rémunération varient radicalement selon les modèles économiques proposés par les différents prestataires. La différence fondamentale entre Amazon et des sociétés comme Youboox ou Youscribe, pour ne parler que de la France, ne s'arrête cependant pas là.
En effet, aucune autre plateforme n'a les conditions contractuelles d'Amazon : non seulement, l'éditeur doit s'engager à fournir le même catalogue pour Kindle Unlimited qu'aux autres plateformes, mais surtout, la période minimum d'engagement va de 3 à 6 mois. « Même si vous ne mettez à disposition qu'un pourcentage raisonnable de votre catalogue dans cette offre, vous alimentez et encouragez un mode de consommation mortifère pour vous et pour toute la chaîne du livre dont le seul vainqueur sera la firme Amazon », explique le distributeur.
Ne pas mettre le doigt dans l'engrenage
Et de conseiller avec ferveur, aux éditeurs clients de son service, de ne pas « mettre le doigt dans cet engrenage ». La perte de rémunération pour l'éditeur, on le comprend impliquerait une perte pour le distributeur, qui laisse chacun libre de ses actes – tout en faisant œuvre de pédagogie sur les risques encourus.
D'autres observateurs soulignent que « la France a des alternatives, contrairement à l'Espagne ou l'Italie. Amazon n'est pas en position de suprématie absolue chez nous, car de nombreux revendeurs existent, et se donnent à fond pour faire vivre les catalogues ». Dans tous les cas, le premier échec est essuyé par l'Américain, et cela ne l'aidera certainement pas à faire signer d'autres maisons.
On connaît déjà toutes les réticences manifestées par Hachette aux États-Unis, sur la question de l'abonnement illimité : rien ne permet de croire que la politique serait différente en France, et que le groupe s'ouvrirait à cette solution, comme par enchantement. Il en va de même, en dépit de l‘enthousiasme, semble-t-il, manifesté par Alain Kouck, PDG d'Editis : son groupe n'a signé avec aucun des acteurs français. Reste alors à considérer la position de Gallimard/Flammarion, ou de Seuil/La Martinière.
Selon nos informations, nombre d'éditeurs regardent encore les offres d'abonnement illimité comme des solutions douteuses en regard de la loi sur le prix unique du livre numérique. « Une offre d'abonnement, de vente, quelle qu'elle soit, dont le prix public n'est pas fixé par l'éditeur est par essence contraire à la législation en vigueur », nous précisait-on récemment. Voilà qui donne une raison de plus pour adresser une fin de non-recevoir au géant américain...
Quant à l'idée qu'Amazon puisse inaugurer Kindle Unlimited avec son seul catalogue d'auteurs autopubliés, cela prête certains observateurs à sourire.