Le train de Proust
Lire A la recherche du temps perdu pour la première fois, c'est prendre un moyen de transport inconnu pour un voyage d'une longueur peu ordinaire. Certains évoquent un train de souvenirs, d'autres dont je suis témoignent du train de vérités qu'est ce récit initiatique traçant un chemin spirituel vers "la joie du réel retrouvé". Aux lectures suivantes, c'est en connaissance de cause que le lecteur croit reconnaître les scènes qu'il aime entre toutes comme autant de stations heureuses. Force est pourtant de constater que tout a changé d'être retraversé : les paysages eux-mêmes semblent aussi mouvants que le point de vue depuis le train, ce "laboratoire" dont chaque wagon se transforme en une étonnante "chambre magique qui se chargeait d'opérer la transmutation tout autour d'elle". Illustration parfaite de la relativité proustienne à l'articulation du temps et de l'espace, le train permet de retraverser la Recherche d'autant mieux qu'il la parcourt incessamment, depuis la toute première page de Du côté de chez Swann envahie par ses sifflements nocturnes jusqu'au Temps retrouvé, où le coup de marteau d'un employé des chemins de fer générera l'une des réminiscences majeures du bouquet final. Alors le train du souvenir pourra bondir hors du tunnel inerte de la mémoire, dégageant bientôt cette vérité inédite qui, au sens le plus fort du verbe, anime à jamais la Recherche.
08/2022